• J'écoutais l'autre jour l'excellente émission d'Alain Finkielkraut : "Répliques" (tous les samedis de 9h à 10 h sur France Culture) consacrée ce jour là à "Saint Augustin aujourd'hui", à l'occasion de la sortie d'une nouvelle traduction des Confessions d'Augustin par Frédéric Boyer (qui a modifié la traduction traditionnelle du titre pour "Les aveux").

    L'intérêt et la qualité de l'émission de Finkielkraut ne sont pas en cause, mais j'ai regretté que les intervenants passent tant de temps (la plus grande partie de l'heure) à propos de problèmes techniques de traduction, et aussi à propos d'un thème il est vrai inévitable quand on parle d'Augustin et du christianisme subséquent : la "question sexuelle".

    La traduction par "les aveux" est à mon avis un peu regrettable en ce qu'elle ne retient (en apparence du moins, au sens du terme qu'a pris de nos jours le mot "aveu") qu'une dimension moralisante de "péché et d'aveu" alors qu'il en existe d'autres dans le mot "confessions", et notamment celle de louange, d'actions de grâces : ce n'est certes pas moi qui vais m'en plaindre, mais quand on parle d'un des fondateurs de la spiritualité chrétienne, cela peut paraitre exagéré !

    Quoiqu'il en soit, Finkielkraut a mis le doigt sur la mutation radicale introduite par Augustin par rapport à la philosophie antique, qu'il connaissait parfaitement : le Dieu d'Augustin, le Dieu chrétien donc, est un Dieu vers lequel on se tourne, auquel on parle, auquel on se confie, sur l'épaule duquel on peut faire reposer son fardeau aux heures d'épreuve. Par contre l'Un plotinien n'est pas à rencontrer en face à face, il n'est pas question d'avoir un entretien avec lui, ni d'imaginer des pensées, sentiments ou intentions qu'il aurait à l'égard des créateures, prises individuellement ou dans leur ensemble.

    Finkielkraut a résumé tout ceci dans une formule : Augustin passe du "Dieu" de la philosophie au Dieu de la Foi, au Dieu d'Abraham.

    Il se situe donc ici dans la controverse qui oppose depuis Pascal le "Dieu des philosophes et des savants" au "Dieu d'Abraham".

    Brunschvicg quant à lui a une formulation encore meilleure, et surtout initiatrice, provocatrice à l'évolution spirituelle réelle :

    "Dieu n'est pas à rencontrer en face à face, mais d' esprit à esprit"

    ainsi que : "Dieu n'est pas un être dont il y a vérité (cad valeur de vérité, savoir s'il existe en vérité ou non), mais par lequel il y a la vérité", ce qui renvoie à la formulation de Spinoza dans le "Court traité" : "Dieu est la Vérité".

    ainsi le Dieu de la philosophie, de la vraie philosophie, c'est à dire pour nous, inspirés par Brunschvicg, Descartes, Spinoza et Einstein, de la philosophie et de la science unifiées , soit donc le "Dieu des philosophes et des Savants", est il la source dont nait la Raison, qui n'est rien d'autre que la recherche de la Vérité, la recherche de la source. Selon Brunschvig, le Dieu de Descartes doit être vu comme partageant avec l'homme une commune orientation vers la Raison. Il a peut être tort vis à vis du Descartes historique en faisant cette interprétation, puisque les livres d'Alquié ou de Laporte ("Le rationalisme de Descartes") mettent en évidence un Descartes qui était et est resté indubitablement chrétien (et ce, philosophiquement parlatn, non pas extérieurement, comme pourrait le laisser entendre son aveu "qu'il est resté fidèle au dieu de sa nourrice"). Mais si Brunschvicg a tort de manière factuelle, il a ses raisons, et il a raison Mort de rire.

    "Les confessions" est aussi un livre de philosophie, et Augustin est un grand philosophe, aucun doute là dessus. Mais le chrétien Augustin prend dans ce livre le dessus sur Augustin philosophe. Et le grand philosophe Jean-Luc Marion s'est même servi d'Augustin pour contrer Descartes et démontrer (selon lui) l'impossibilité du Cogito : j'ai assisté à ces conférences à l'Institut catholique de Paris, oui il m'arrive de pénétrer en ces lieux de perdition, muni de gousses d'ail et d'une flasque de vodka, on ne sait jamais ...et si je retrouve les notes que j'ai prises, je tenterai peut être d'expliquer pourquoi je ne saurais approuver Marion, même si je reconnais que je ne lui arrive pas à la cheville pour la culture philosophique !

    C'est là la tâche de l'humanité moderne de discriminer, dans l'héritage chrétien, entre l'amande savoureuse, le Logos philosophique, et l'écorce mythologique religieuse, et de ne pas jeter le bébé philosophique avec l'eau du bain chrétien. C'est encore plus nécessaire avec les grands fondateurs de la philosophie moderne que sont Descartes et Malebranche. Et la lecture de Brunschvicg nous y aide puissamment.

    Chez tout philosophe il existe un traité d'initiation , de tournure analytique, racontant les évènements arrivés, survenus à une conscience, et un traité d'exposition synthétique, dogmatique : chez Augustin ce sont les "Confessions" , par opposition à la "Cité de Dieu" ; chez Descartes ce sont les "Méditations" s'opposant aux "Principes de la philosophie"; chez Spinoza c'est le "Traité de la réforme de l'entendement" par opposition à l'Ethique; et enfin chez Hegel c'est la Phénoménologie de l'Esprit, qui retrace l'itinéraire de la conscience, son Odyssée, par rapport à la Logique, "science de la pensée divine avant la création du monde" !

    Nous n'entendons pas renoncer à l'initiation, à la conversion, mais cette conversion doit être selon nous intellectuelle, rationnelle, et non pas mystique ou religieuse : la spiritualité augustinienne, ou pascalienne, si tentatrice, n'est justement selon nous que tentation , elle ne mène qu'à l'illusion et au néant.

    Pour parcourir ce chemin d'initiation, de conversion intellectuelle, je ne saurais donc que recommander (plutôt que les lourdeurs hégéliennes) ces deux joyaux que sont les Méditations cartésiennes ("Meditationes de prima philosophia") , et le "Tractatus de emendatione intellectus" (Traité de la réforme de l'entendement)  de spinoza, suvies pourqoi pas de la Recherche de la vérité de Malebranche, mais accompagnées en tous les cas par le livre de Brunschvicg : "Vraie et fausse conversion", lisible sur Gallica, voir les références sur ce lien :

    http://groups.msn.com/Principiatoposophica/philosophie.msnw?action=get_message&mview=0&ID_Message=3&LastModified=4675651624129826958

    et je mettrai aussi le livre en ligne, peu à peu, sur :

    http://www.scribd.com/groups/view/3363-itinerarium-mentis-in-deum

    Mais l'on sait que toute détermination est négation, et que la voie négative a ses charmes, en théologie aussi bien qu'en philosophie : nous avons la chance, grâce à notre ami Allah-Mahomet, de disposer d'une exposition tout à fait lumineuse de ce qu'est la "fausse conversion", dans la Sourate 9 du Coran intitulée "At-tawbah", ce qui est traduit dans mon édition par "Le repentir", là encore à un niveau dégradé en moralisation par rapport au niveau de la spiritualité pure qui est celui de la philosophie selon Brunschvicg ou Descartes. Le chercheur de Vérité ne doit pas avoir peur de tourner ses pas même vers les fosses les plus obscures, j'ai bien pénétré à l'institut catholique, alors pourquoi aurions nous peur de lire le Coran ? après tout ce ne sont que des feuilles de papier , au moins cela ne donne pas la gueule de bois !Mort de rire

    Pour parfaire donc de manière négative l'initiation et la conversion cartésiano-brunschvicgo-spinoziste, je recommanderai donc la lecture de la sourate 9, dont j'offe ici aux lecteurs intrépides (il faut qu'ils le soient pour lire ma prose !) les "bonnes feuilles suivantes", en soulignant que le titre évoque à la fois le "désaveu des associateurs" de la part d'Allah au verset 1, et le repentir de ceux qui renoncent à l'association (de divinités à Allah au verset 118; c'est aussi la seule sourate qui ne commence pas par l'invocation d'Allah (bismillah) car elle introduit la guerre entre musulmans et mécréants.

    v 3 :"Et proclamation aux gens de la part d'Allah et de son messager , qu'Allah et son messager désavouent les associateurs ; si vous vous repentez ce sera mieux pour vous. Mais si vous vous détournez sachez que vous ne réduirez pas Allah à l'impuissance. Et annonce un châtiment douloureux à ceux qui ne croient pas"

    v 5 : "après la fin des mois sacrés (= Ramadan) tuez les associateurs partout où vous les trouverez ; capturez les, assiégez les et guettez les en toutes embuscades. Mais s'ils se repentent , accomplissent la Salât (prière) et acquittent la Zakât (aumône) alors laissez leur la voie libre : Allah est compatissant et miséricordieux"

    9  "ils troquent à vil prix les versets du Coran, ce qu'ils font est très méchant"

    11 : "nous exposons intelligiblement les versets, pour les gens qui savent"

    15  "Allah accueille le repentir de qui il veut, car il est omniscient et sage"

    21-22 : "Leur Seigneur leur annonce de sa part miséricorde et agrément, et des jardins où il y aura pour eux des délices permanents, où ils demeureront éternellement. Certes  il y aura auprès d'Allah une énorme récompense"

    28 : "les non musulmans (les associateurs) ne sont qu'impureté"

    29 : "Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n'interdisent pas ce qu'Allah et son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de vérité (=l'Islam) "

    30 "Les juifs disent : "Uzayr est fils d'Allah", et les chrétiens disent: "le Christ est fils d'Allah"... qu'Allah les anéantisse !"

    97 : "Les bédouins sont les plus endurcis dans leur impiété et leur hypocrisie"...

    mais stoppons là, et que ceux qui ont des oreilles entendent, que ceux qui ont un cerveau réfléchissent ! 

    On aura compris avec évidence le péché rédhibitoire de toute religion, de tout culte particulariste, et qui éclate avec le plus d'évidence dans le Coran : il se nomme dualisme et discrimination (positive ou pas, peu importe Mort de rire), et consiste à séparer l'humanité en deux camps : les croyants (les musulmans) et les pervers (les non musulmans, les associateurs); il consiste à substituer à la recherche  humble, incessante et infinie de la vérité au moyen de l'étude patiente de l'univers par la science, la prétendue "vérité" révélée sur la montagne ou dans le désert (mais jamais dans la cité, aux yeux de tous, comme c'est bizarre ) à quelques psychopathes s'autoproclamant "prophètes du vrai Dieu".

    Face à cette haine nauséabonde, qui menace de nos jours d'engloutir l'humanité dans les horreurs de la guerre, face à ce cri d'exclusion "qui n'est pas avec Moi est contre moi", face à tous ces dieux à noms propres qui se disent tous le "Dieu unique et seul vrai", et dont les fidèles passent leur vie à s'excommunier et à se massacrer, nous avons le message d'amour de la philosophie par la bouche de Brunschvicg :

    "celui qui est contre moi est encore avec moi"

    verset 129 : "Alors s'ils se détournent dis "Allah me suffit.."

    je leurs réponds :

     "la libre recherche de la vérité me suffit , elle est mon salut: je n'ai pas besoin de votre vérité révélée pour m'y reposer, car je sais que tout relâchement de l'effort infini de la recherche est illusion et néant"


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  • Le livre d'Alexandre Moatti (ingénieur en chef des Mines) : "Einstein : un siècle contre lui" , paru chez Odile Jacob est tout à fait passionnant même pour le lecteur qui n'a qu'une connaissance superficielle de la physique moderne.

    Einstein est pour nous bien plus qu'un physicien génial, un "scientifique révolutionnaire" comme Smolin les désigne, et dont notre époque a tant besoin. La théorie de la relativité possède une portée qui dépasse la pure et simple physique et même la pure et simple science, elle a pour tout dire une portée philosophique, valable universellement pour la théorie de la connaissance, c'est à dire pour le coeur de la philosophie, ce qui remplace la vieille métaphysique et l'ontologie. il appartient à ce cercle des grands physiciens du début du 20 ème siècle qui s'intéressent aux grands problèmes généraux de la philosophie , mais il peut être considéré comme le "meilleur" d'entre eux, ne serait ce que parce qu'il est à l'origine des deux "révolutions" scientifiques majeures dont notre époque hérite sans pouvoir semble t'il les mener à terme : la relativité et la physique quantique.

    Moatti estime qu'il a complètement changé la manière de faire de la science : à partir de lui et de ses découvertes, la science devient une affaire de spécialistes travaillant en équipe, c'est la fin du "grand savant universel" dont Einstein lui même, ou Henri Poincaré, constituent les derniers exemplaires ; l'ironie de l'histoire veut en effet qu'Einstein, de par son caractère individualiste, ait toujours refusé de travailler en équipe, et qu'il ait eu très peu d'élèves.

    Le livre de Moatti retrace la haine ou l'hostilité sourde dont il a été l'objet, de son vivant mais aussi après. Les explications" d'une telle animosité sont multiples , allant de l'antisémitisme pur et simple (fréquent chez les contemporains allemands à partir de la guerre de 14-18 et de la montée du nazisme) au nationalisme cocardier français (pour qui einstein est "allemand") de l'après guerre, ou bien à la jalousie de ce que Moatti appelle des "flibustiers de la science", à savoir des gens ayant plus ou moins ratés leur vie et qui, arrivés à la cionquantaine, dépités, s'inventent une "mission" : démolir l'idole de la relativité. il y a aussi bien sûr les motifs religieux (chez un thomiste comme Maritain) ou plus philosophiques (comme chez Bergson).

    Mais laissons tomber tout ce qui est méprisable (antisémitisme, délires de ratés, etc...) ; que reste t'il ? il reste la difficulté extrême, encore aujourd'hui, pour l'esprit humain d'accepter la démonstration rigoureuse, et confirmée par plusieurs expériences de plus en plus précises, y compris après 1960, que le temps et l'espace absolu sont des notions qui doivent être abandonnées. Bergson est l'exemple de ces "antirelativistes de haute volée" qui vient immédiatement à l'esprit, mais il y en a d'autres.

    Un autre aspect intéressant du livre de Moatti est qu'il discerne, à l'origine des controverses, un combat entre deux conceptions de la physique : une conception expérimentale, naturaliste, pragmatique, empirique, mettant l'accent sur l' expérience et rejetant le formalisme mathématique, et une conception mathématisante, intellectualiste, rationaliste, "déductive". La querelle est la plus frappante entre les physiciens nazis comme Lenard et Stark, tous deux prix Nobel, et les physiciens "théoriciens" comme Einstein ou ses émules, ou bien Heisenberg. Les premiers tombent dans un délire total en opposant une physique "aryenne" ou "germanique" à la physique "juive" qui serait celle d'Einstein !

    Une question intéressante à creuser serait de savoir dans quelle mesure ces physiciens nazis sont les héritiers de la "philosophie de la nature" allemande du 19 ème siècle : ainsi Philonenko, dans son commentaire à la Phénoménologie de l'Esprit, montre il que la philosophie de la nature hégélienne a refusé le verdict de l'expérience, et que c'est là la cause de son glissement dans l'oubli.

    Mais il est aussi des scientifiques comme Maurice Allais , peu suspects d'antisémitisme ou de délire mystique, qui partagent ce refus obstiné de la relativité et du "mathématisme" (en physique ou en économie) au nom de l'expérience. Maurice Allais, polytechnicien, prix niobel d'économie, a eu aussi une brève carrière de physicien à la fin des années 50.

    Et Moatti met en évidence hélas des passerelles entre ces scientifiques ou intellectuels,  évidemment au dessus des délires antisémites, comme allais, et d'autres "adversaires de la relativité" beaucoup moins "propres". ainsi Allais cite t'il souvent les oeuvres de l'antisémite forcené Christopher Jon Bjerknes (né en 1965) dont on trouvera sur le web en deux ou trois clics un ouvrage s'apparentant aux émules des protocoles : "La production et la vente de Saint Einstein".  2000 pages de grands délires !

    Encore cette dichotomie entre empirisme et rationalisme, entre "expérience" et mathématique, est elle convenue et trop simpliste et doit elle être dépassée : c'est aussi un des enseignements du livre de Moatti, mais là encore je ne vois aucun autre penseur qui ait mieux permis que Brunschvicg de comprendre ce point.

    On lira avec profit le compte rendu de la séance du 6 Avril 1922 de la société de philosophie de France, où Einstein était invité et soumis aux questions de Bergson, Meyerson, Brunschvicg ou Edouard Le Roy, voir :

    http://www.sofrphilo.fr/?idPage=34  (conférence 13, catégorie "physique", téléchargeable en fichier pdf).

    Là encore, face aux interventions décevantes de Le Roy (qui avoue qu'il n'a rien à dire), ou Bergson (qui en reste à son temps absolu nommé "durée", contre le verdict de la science) ou Meyerson (dont la "déduction relativiste" est très en dessous du livre de Bachelard, élève de Brunschvicg), l'intervention de Brunschvicg est absolument illuminante : il montre en quelques phrases le caractère absolument révolutionnaire (philosophiquement parlant) de la théorie d'Einstein, qui consiste à mêler contenant et contenu, à abattre la cloison (kantienne) entre forme (mathématique : temps, espace) et contenu (physique, force, champ etc..). ainsi la dichotomie entre expérience et formalisme est elle dépassée dans l'idéalisme mathématisant... mais l'on doit préciser que l'intellect est en position de primauté, c'est cela le sens profond du mot "idéalisme", d'ailleurs comme le disait déjà Kant, l'expérience scientifique moderne n'est pas du tout la même que celle des anciens temps : la raison y est un juge qui soumet la nature à ses questions, non un disciple du temple d'Isis qui s'agenouille devant le déesse voilée !

    Voir aussi :

    http://groups.msn.com/Principiatoposophica/relativit.msnw?action=get_message&mview=1&ID_Message=19

     

     

     


    9 commentaires
  • http://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Descartes

    La situation déplorable de l'humanité contemporaine tient selon nous à la situation déplorable de la philosophie contemporaine, qui tient elle même à l'oubli de ce qu'est la (véritable) philosophie et des textes où on a une chance de la trouver.

    Il suffit de fréquenter quelque peu les "forums philosophiques" (ou plutôt se prétendant philosophiques) sur Internet pour constater que l'étude patiente, s'étendant sur toute une vie, des grands auteurs classiques de la philosophie (Platon, Aristote, Proclus, Plotin, Descartes, Spinoza, Leibniz, Malebranche, Wolff, Kant, Fichte, Schelling, Hegel) est remplacée (sans doute parce que trop difficile) par les discussions stériles sur les petits états d'âme des forumeurs à propos de la politique ou des (non)  évènements de l'époque actuelle, ou bien par les appréciations sans nuances à propos de "philosophes" modernes , souvent obscurs (ça fait mieux, plus "intello"). (On poussera certainement les hauts cris quand je range Schelling parmi les auteurs classiques, mais je me comprends...je ne parle pas ici de l'opposition convenue entre classiques et romantiques).

    Il est donc nécessaire selon nous, si l'on veut remédier à la situation tragique de l'humanité moderne, de revenir aux philosophes "classiques", aux grands philosophes que sont Platon, Descartes, Spinoza et Kant, et aussi de les étudier en parallèle avec l'étude de la science, et d'abord de la partie théorique des sciences : physique et mathématique.

    C'est l'apport irremplaçable de Brunschvicg à la philosophie éternelle que d'avoir été le penseur qui a le plus insisté sur le rôle de la science moderne (celle qui est née au 17 ème siècle et a remplacé l'ancienne science, en sa version aristotélicienne) pour la philosophie, sans bien sûr confondre les deux : la philosophie n'est pas la science que l'on connait comme physique mathématique (puis comme les autres sciences qui sont développées à partir de ce cadre), elle n'a pas le même objet, elle ne vise pas les phénomènes, mais s'exerce de manière réflexive sur l'esprit à l'oeuvre dans l'élaboration des sciences, et à ce titre elle a absolument besoin de l'étude et de la compréhension de celles ci. Comme le dit Brunschvicg dans sa thèse "La modalité du jugement" : la philosophie est "connaisance intégrale", et seul l'esprit peut être objet de connaissance intégrale pour l'esprit. Dans cette acception, la philosophie selon Brunschvicg n'est pas loin de se confondre avec l'histoire de la philosophie, avec la réflexion et la méditation  incessante du "progèrs de la conscience dans la philosophie occidentale"... et aussi dans la science moderne occidentale (aucun sens ethnique ici : l'Occident dont parle Brunschvicg n'est pas celui de Bush ou Sarkozy, il est l'humanité elle même prise dans sa dimension universelle, sa dimension de pensée et de raison donc)

    C'est principalement sur Descartes et Spinoza que s'exerce la réflexion de Brunschvicg, ainsi que sur Kant, et dans une moindre mesure Malebranche et Fichte. Mais il me semble que l'on peut dire sans exagérer que Brunschvicg est plus spinoziste que cartésien. Bien entendu cette formulation est trop simple, Brunschvicg n'est ni ceci ni cela, ce qui est normal s'agissant de penseurs de cete hauteur géniale. Il retient de Spinoza et de Descartes ce qui peut être qualifié d'éternel, en laissant de côté l'aspect "dogmatique" de l'Ethique (consistant dans le lourd appareil axiomatique de la Substance) et chez Descartes sa critique s'exerce souvent (et avec bonheur) à propos des "preuves de l'existence de Dieu" et de la théorie de la création par Dieu des vérités éternelles. (La preuve nommée "argument ontologique" est aussi présente chez Spinoza, et elle a été réfutée par Kant).

    Mais il se trouve que sur Descartes et le cartésianisme nous disposons des études d'un autre philosophe français moderne très important : Ferdinand Alquié, dont on peut lire sur le web "Descartes : l'homme et l'oeuvre" en format pdf :

    http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/file/descartes_alquie.pdf

    L'approche d'Alquié est très différente de celle de Brunschvicg, qu'il critique souvent tout en reconnaissant avoir bénéficié des enseignements de son oeuvre, mais ils partagent plusieurs points communs : un rationalisme sans faille, une fidélité à une  raison qui n'est en aucun cas considérée comme une puissance substantielle et déterminée une fois pour toutes et exerçant d'en haut sa législation, mais comme une tension essentielle, un effort permanent de l'homme à la recherche de la vérité (Alquié parle à ce propos de la "solitude de la raison et du philosophe") ; et aussi, disons le tout net, un oubli presque complet de la part des intellectuels venant après 1945.

    C'est dans la "Découverte métaphysique de l'homme chez Descartes" (et aussi , dans une optique moins restreinte au cartésianisme, dans "Nostalgie de l'être") qu'Alquié nous livre sa vison la plus pure et la plus claire de la spiritualité cartésienne, qu'il place au sommet de toute la philosophie occidentale. En ce sens , il peut être dit cartésien par opposition à Brunschvicg le spinoziste. On lira ainsi avec un bonheur extrême les pages finales de la "Tentation de l'éternité" , où il affirme sans ambages que "nul ne nous semble plus digne que Descartes d'être pris comme maitre de Sagesse".

    Par rapport au spinozisme de Brunschvicg, le cartésianisme d'Alquié pourrait être caractérisé comme adoptant l'approche selon l'Etre (ontologie cartésienne)  plutôt que l'approche selon l'Un (mathématisme de Spinoza et Brunschvicg). Cela est en rapport avec une estimation différente, voire contraire, de la portée de la Raison humaine : pour Descartes (on lira là aussi le début du livre de Guéroult : "Descartes selon l'ordre des raisons", qui est très clair à ce sujet) et Alquié, le pouvoir de la Raison est total à l'intérieur du domaine où elle peut s'exercer; pour Spinoza et Brunschvicg il n'y a pas de limite au pouvoir d'explication et de compréhension de la Raison humaine, qui peut alors être tout autant qualifiée de divine. C'est là tout le sens de l'idéalisme revendiqué jusqu'à la fin de sa vie par Brunschvicg, et qu'il affirme dès le début de sa thèse de jeunesse "La modalité du jugement", en posant qu'un "au delà de la pensée" est "pour nous comme s'il n'était pas". il n'y a aucun sens rationnel à supputer un "au delà de la raison et du discours", pour la bonne et simple raison que cela revient à parler (ne fût ce que pour dire à la manière de Wittgenstein qu'il "faut le taire") de ce dont on affirme qu'il est impossible de parler.

    On dira bien que parmi les attributs de la Substance (= Dieu) Spinoza pose que seuls les deux premiers, l'Etendue et la Pensée, sont accessibles à la compréhension humaine, et que l'infinité des autres est incompréhensible, mais on tombe là justement dans le lourd "appareil" de la substance dont Brunschvicg souligne l'aspect "dépassé et euclidien".. on doit d'ailleurs se rappeler que parler d'une infinité d'attributs n'a plus de sens précis après Cantor et sa découvertes des différents "infinis" (l'infinité des cardinaux).

    Ce blog entend éviter l'erreur des précédents : le dogmatisme, et revenir à beaucoup plus de modestie. Nous entendons tirer les conséquences d'un fait évident : ce n'est pas sur un blog que le projet de "Mathesis universalis" rêvé par Descartes puis semble t'il oublié (ou repoussé ?) par lui, puis repris par Leibniz sans trouver des réalisation précise, ni même de définition claire, réabordé ensuite bien plus tard par Husserl au début de sa carrière philosophique, ce n'est pas ici donc, sur ce blog ou sur un autre, que le projet sera mené à terme !

    On se contentera donc ici de mettre en ligne des propositions, des notes, des suggestions, en évitant les affirmations dogmatiques et péremptoires. Si ce blog ne sert qu'à clarifier et organiser notre propre pensée, il aura déjà une utilité, et c'est sans doute la seule qu'il aura.

    Tout cela pour dire que si Brunschvicg reste notre principal inspirateur, nous entendons être fidèle à son impératif constamment réaffirmé : toujours vérifier ! "le vrai, c'est ce qui est vérifié".

    Aussi les critiques d'Alquié sont elles précieuses en ce qu'elles mettent au défi de "vérifier" (et donc éventuellement de falsifier) les thèses de Brunschvicg.

    C'est à propos de la situation relative de la science et de la philosophie (ou plutôt, dans la terminologie d'Alquié, de la métaphysique) que cette approche comparative des deux philosophes nous semble pouvoir être entamée de la façon la plus frutueuse, car c'est sur ce sujet qu'ils se séparent et se rejoignent à la fois (ce qui est bien le signe d'une certaine dialectique des deux pensées) : Brunschvicg insiste sur la "cassure en deux de l'histoire de la philosophie" à l'époque de Descartes, et Galilée : il y a une philosophie d'avant la science moderne, qui est encore à l'état virtuel, dans les langes, et il y a la philosophie qui nait puis se développe et progresse à partir de Descartes. Mais en aucun cas la philosophie ne doit se situer "en surplomb" de la science : la pensée ne doit se faire "ni plus vieille ni plus jeune qu'elle même", la philosophie doit progresser de concert avec la science, et c'est sa tragédie principale que d'avoir pris tant de retard sur celle ci.

    Alquié, dans "La découverte métaphysique de l'homme chez Descartes", dit à la fois la même chose et autre chose : la science a pour rôle irremplaçable de donner à l'homme la conscience enfin déterminée de l'objet, de la conaissance objective, et de lui permettre ainsi de procéder à l'établissement de la philosophie, qui prend pour point de départ cette conscience exacte de l'objectivité (donnée àl'humanité par la science moderne) pour se tourner vers une tâche tout autre : la voie vers la Sagesse qui est selon lui la voie vers l'Etre, qui ne saurait se trouver dans les objets considérés par la science.

     

     


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  • Dans son récent ouvrage "Rien ne va plus en physique" ("The trouble with physics") évoqué sur mes blogs à plusieurs reprises, Lee Smolin délivre un diagnostic à la fois "pessimiste" (si ce mot peut avoir un sens dans le domaine scientifique) et stimulant à propos de la situation de la physique théorique actuelle : il montre (avec succès, à mon avis) que la théorie des cordes n'a pas tenu ses promesses d'unification de la physique quantique et de la relativité en une théorie unitaire, regroupant en un cadre théorique (mathématique)  les quatre interactions fondamentales de la physique, à savoir électromagnétiques , et interactions fortes et faibles (toutes trois influentes aux échelons très petits, du domaine de la physique quantique donc) et la gravité, du domaine des échelles très grandes et de la relativité générale.

    Le dernier grand achèvement de la pensée humaine en physique théorique est donc le "modèle standard", qui unifie les trois premières interactions, et qui date de 25 ans environ pour ses derniers développements.

    Lee Smolin ne cherche absolument pas à "démolir" la théorie des cordes et les physiciens qui y travaillent, qui sont souvent de grands esprits. Mais il plaide , avec bon sens à mon avis, pour une diversification des crédits de recherche : étant donné que la théorie des cordes a été pour le moment impuissante à proposer des expériences nouvelles aptes à valider ou falsifier ses conclusions, qu'elle n'a donc fourni aucune prédiction pouvant être confirmée par l'expérience, étant doné même qu'elle n'est même pas pour le moment une théorie unique mais un "espoir de théorie dans le futur", il serait hautement raisonnable d'accorder des crédits à des programmes de recherches concurrents si moins ambitieux, comme la gravité quantique à boucles (le domaine de recherche de Smolin).

    Son diagnostic sur la théorie des cordes est confirmé par le livre de Peter Woit, "Même pas fausse" ("Not even wrong"), qui arrive aux mêmes conclusions. Woit est quant à lui spécialisé en physique mathématique.

    Selon Smolin , il faut distinguer deux sortes de sciences : la science "normale", celle des chercheurs qui ne découvriront pas un nouveau domaine et ne réaliseront pas de grandes avancées théoriques, et la science "révolutionnaire", celle des Einstein , Dirac et Heisenberg.... le mode de fonctionnement de la recherche aux USA paralyse selon lui les chercheurs "révolutionnaires", ceux dont la physique actuelle a besoin pour sortir de l'impasse. Il montre que pour dépasser le marasme actuel, il faut des gens qui réfléchissent à ce qu'il appelle les "problèmes fondamentaux", qui sont de nature philosophique, touchant par exemple à la nature de l'espace et du temps.

    Or depuis l'après guerre, et même la fin des années 30, la science est touchée (aux USA en tout cas, mais l'on sait que ce qui survient aux USA se transmet vite au reste du monde) par un syndrome positiviste, qui la conduit à mépriser toute activité philosophique, celle qui passionnait tellement Einstein.

    Là encore il arrive aux mêmes conclusions qu'un autre penseur , Benjamin Gal-Or, dans son ouvrage qui date de plus de 20 ans maintenant : "Cosmology, physics and philosophy" (Ed Springer). Ce dernier estime que le dernier grand effort de pensée philosophique en physique aux USA a été le fait des chercheurs qui arrivaient d'Europe pour fuir l'hitlérisme...il y a un certain temps donc.

    Ce déficit de "pensée philosophique" serait la cause profonde de la crise actuelle.

    Pour ma part j'étais remonté, sur un autre blog (voir : http://mathesis.over-blog.com/article-5633431.html) encore plus loin , au début du 18 ème siècle, après la mort de Leibniz : je voyais dans la séparation intervenue à cette époque entre mathématiciens (puis physiciens ) et philosophes le symptôme de l'échec de la "Mathesis universalis" de Descartes et  Leibniz (qui étaient encore, au 17 ème siècle, à la fois mathématiciens ET philosophes).

    Je n'ai pas changé d'avis, et il me semble que même s'il a existé au siècle dernier de grandes exceptions (mais un génie est toujours exceptionnel) comme Einstein, l'échec du projet de Mathesis universalis grève d'une lourde hypothèque le devenir "séparé" (après avoir été commun) de la science (des sciences doit on dire maintenant, des sciences particulières et non unifiées) et de la philosophie ( les philosophies doit on dire là encore, chaque auteur ayant sa philosophie propre).

    Il faut avoir le courage de préciser au maximum sa pensée : la thèse qui sous-tend l'activité de ce blog est que la philosophie est scientifique et non pas mystique, qu'il n'y a donc et ne peut y avoir qu'une seule philosophie, comme il n'y a et ne peut y avoir qu'une seule science, et un seule Vérité.

    "Chacun sa vérité", ce n'est pas la monnaie qui a cours ici ! Mort de rire

    La philosophie est la "science des sciences" (comme le dit Fichte par exemple). J'ai aussi pu caractériser dans le passé la situation mutuelle de la philosophie et de la science par l'image d'une adjonction de foncteurs:

                                                     ------------------>

                                 Esprit, Sujet                                   Objet, "Monde"

                                                     <------------------

    La flèche tournée vers le "monde", vers l'objectivité est celle du foncteur "science"; celle tournée vers l'Esprit est celle de la philosophie.

    C'est un peu plus qu'une image, mais cela réclame bien sûr encore à être précisé considérablement ; disons que pour le moment c'est un peu un "mathème" à la Lacan Mort de rire.

    On trouvera des documents de Benjamin Gal-Or, lisibles gratuitement par tout le monde, et formant la suite de "Cosmology, physics and philosophy", sur l'excellent site http://www.scribd.com :

             http://www.scribd.com/doc/916662/GravitismHavayaism-WorldWide-Acclaimed-Philosophy-by-Benjamin-GalOr-Book-Draft

             http://www.scribd.com/doc/911791/FREE-Core-Curriculum-Course-in-Cosmology-Physics-and-Philosophy-Benjamin-GalOr-2007

     J'attire d'ailleurs l'attention des éventuels lecteurs sur l'intérêt "technique" de ce site, qui permet d'entreposer des documents pdf, doc ou autres. J'y ai moi même créé deux "groupes", l'un public (où je mettrai peu à peu des articles ou extraits de livres de philosophie ou de math-physique):

    http://www.scribd.com/groups/view/3363-itinerarium-mentis-in-deum

    et l'autre privé :

    http://www.scribd.com/groups/view/3361-mathesis-universalis-amor-dei-intellectualis

    où je mettrai en ligne des fichiers (en réservant pour le second ceux pour lesquels il pourrait y avoir un problème de copyright, par exemple des articles de revues scientifiques que j'ai achetés).

    Je rappelle aussi les deux autres forums/groupes fonctionnant avec ce blog :

    http://groups.msn.com/Principiatoposophica

    http://fr.groups.yahoo.com/group/principia_toposophica/


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