• Le Mal.... comme le diable, dont on sait que la plus grande ruse est de faire croire qu'il n'existe pas, cela fait sourire bon nombre de nos contemporains. "C'est bon pour le magasin des antiquités et des accessoires usagés".

    Il semblerait d'ailleurs que pour une philosophie dite "scientifique", comme celle qui a pu ou pourrait se développer ici ou là en secteur "analytique", le mal, comme le bien, ne soit une convention sociale...soumise donc à la relativité des groupes et des cultures, qui envahit le chap entier de la  pensée semble t'il. C'est à peu près le genre de thèses que soutient Reichenbach dans "Rise of scientific philosophy" (ouvrage tout à fait digne de louanges par ailleurs).

    Pour ma part j'ai prévu que le Mal existerait en notre siècle (le 21 ème) avec le maximum d'intensité (sous-entendu : compatible avec la continuation de la vie humaine) et je le maintiens.

    Par contre je m'interroge sur la possibilité, ou non, d'un "Mal absolu"...

    quel sens cela pourrait il prendre ?

    si l'on admet les thèses fondatrices de ce blog, selon lesquelles "l'Absolu" est l'expansion infinie de l'intelligence conduisant à l'absolu désintéressement de l'amour (ce qui constitue deux étapes successives, et l'ordre y est crucial), cela ne pourrait signifier qu'une sorte de "cassure" aboutissant à ce que l'expansion de l'intelligence ne conduirait pas au désintéressement absolu de l'amour.

    Essayons de cerner cela un peu plus précisément : cela pourrait par exemple signifier l'émergence d'une communauté poursuivant la recherche d'une science de plus en plus perfectionnée mais qui se "couperait" par cela même du reste de l'humanité, qu'elle envisagerait comme une humanité "inférieure", "encore et définitivement soumise aux superstitions anciennes" et qu'il serait par là même légitime d'asservir, voire d'éliminer, en tout ou en partie.

    Cette hypothétique "communauté" pourrait elle être d'ordre ethnique ? non, il ne semble pas, car le progrès de l'intelligence va de pair avec un amoindrissement et une disparition des caractères ethniques.

    Ou bien cela signifierait que l'humanité du futur , à supposer qu'elle ait encore une chance d'exister, perfectionnerait à la fois sa "globalisation" et son unification apparente (extérieure) par une disparition des frontières et des différences culturelles et linguistiques, et un métissage généralisé, tout autant que son habileté techno-scientifique, mais qu'il en résulterait une sorte de "guere de tous contre tous" (par une concurrence de plus en plus violente pour la richesse, l'énergie, l'eau, la nourriture, l'espace, l'air pur, etc...)....

    reconnaissons que nous n'avons pas de grands efforts à faire pour reconnaitre , à notre époque présente, des "prémisses" de ce second scénario... qui pourrait d'ailleurs coexister avec certains développements appartenant au premier type de scénario... par exemple une ou certaines ethnies ou populations seraient "supprimés" (de façon plus ou moins "violente" et préméditée, cela pourrait être par non intervention des peuples "plus avancés" pour sauver ces peuples "moins avancés", et soumis aux problèmes de pénuries en eau, aux inondations et aléas climatiques, etc...)au long du développement de l'humanité "globalisée".

    Cela serait il cependant le "Mal absolu" ?

    Ici je réponds fermement "non !" et je vais plus loin, dans le sens d'une thèse qui est la suivante : la notion de "Mal absolu" est inconsistante.

    Car un Mal Absolu serait un ...Absolu. Et il ne saurait y avoir deux Absolus différents, comme Spinoza en donne la démonstration dans l'Ethique. Cela voudrait dire que l'Etre absolu, la Réalité absolue, la Substance, est privation d'être, de réalité...

    il semble cependant que dans le cadre un peu différent qui a été choisi ici, où l'absolu est envisagé comme un "objet initial" à la manière de la théorie mathématique des catégories (cf article sur la fondation de la vérité), il n'en soit pas de même : car on sait que dans cette théorie il peut exister une infinité d'objets initiaux différents, la seule condition étant qu'ils doivent être "isomorphes", c'est à dire reliés par des morphismes inversibles.

    Seulement, l'absolu dont nous parlons ne peut être que de l'ordre de la Pensée (comme le dit aussi Hegel, qui définit "Dieu" comme "Pensée infinie" dans ses "Leçons sur les preuves de l'existence de Dieu"). Et être isomorphe dans l'ordre de la Pensée, c'est être "la même chose".... ce qui rejoint d'ailleurs la pratique mathématicienne standard.

    C'est donc à bon droit que je déduis que le Mal ne saurait être, par définition, absolu, et que donc si ma thèse précédente sur la caractérisation de l'absolu comme développement autonome et infini de la Raison menant à l'Amour absolument désintéressé est admise (et ici elle l'est, puisque c'est notre seul axiome) alors je viens de démontrer que l'expansion autonome et infinie de l'Intelligence rationnelle (ce que j'appelle la Mathesis universalis) ne peut que mener à l'Amour absolu entre les hommes qui la mettent en oeuvre véritablement et fidèlement.

    Cette démonstration est elle fiable ? non si l'on attend une démonstration qui soit formelle et mathématique. Mais l'on sait que le grand Descartes doutait même de celles là, et que sa "démonstration" mettant en évidence le "cogito" (dans les Méditations) est jugée comme "supérieure" en évidence apodictique aux démonstrations mathématiques...

    (à suivre)


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  • pourquoi cette polémique à propos du livre récent de Sylvain Gouguenheim : "Aristote au Mont St Michel", livre où cet excellent médiéviste démontre que la thèse de la transmission unique des savoirs grecs à l'Europe par le monde islamique est fausse (puisque les oeuvres d'Aristote ont été traduites au Mont St Michel par Jacques de Venise) ?

    pourquoi une pétition à paraitre ces jours ci contre le livre et l'auteur, pétition émanant d'un certain nombre d'intellectuels et de professeurs (qui ne semblent pas être musulmans) , et accusant Gouguenheim de racisme et d'islamophobie ?

    en quoi est ce de  l'islamophobie que de démontrer que certaines thèses sont fausses, ou exagérées ? pourquoi l'Islam serait il diminué si quelqu'un (qui est au demeurant un professeur réputé) démontre scientifiquement que l'Europe ne doit pas tout, ou même ne doit rien, à l'Islam pour ce qui est de la connaissance de l'antiquité ? pourquoi l'Europe devrait elle être absolument la vassale du monde islamique ?

    et de toutes façons personne ne nie que Sylvain Gouguenheim est un spécialiste réputé de l'histoire du Moyen Age ! alors pourquoi procéder par pétition accusatrice, plutôt que, si tant est que son livre soit criticable, par critique scientifique et réfutation ?

    est ce scientifique de dénoncer une thèse comme "raciste", "favorisant le choc des civilisations" , plutôt que de la réfuter ? en science, et l'Histoire est une science, on n'utilise pas des arguments "ad hominem", mais on évalue la vérité ou la fausseté d'une thèse, selon une argumentation scientifique !

    Mais n'y a t'il pas là l'indice de quelque chose d'infiniment plus grave ?

    Cet "incident" ridicule ne montre t'il pas que l'Islam, et l'islamisation de l'Occident, se situe au coeur des débats non intellectuels mais idéologiques contemporains ?

    et que les tenants de la dette de l'Europe à l'égard de l'Islam, loin d'être tous ni majoritairement musulmans, sont prêts à utiliser tous les moyens pour faire valoir leurs vues ? 

    Mais : s'ils avaient raison, auraient ils besoin d'utiliser de telles stratégies minables et, pour tout dire, fascisantes, pour "faire taire" les contradicteurs par la violence (fût ce pour le moment, de la violence en paroles) plutôt que par le libre débat démocratique ?

    Voici quelques liiens à lire à propos de cette affaire, et à propos de la fable de la transmission des savoirs antiques par le monde islamique :

    http://www.bivouac-id.com/2008/04/30/le-cauchemard-vychinsky-sylvain-gouguenheim/

    http://www.bivouac-id.com/2008/04/05/livre-et-si-leurope-ne-devait-pas-ses-savoirs-a-lislam/

    http://www.rebelles.info/article-18944476.html

    http://www.rebelles.info/article-17656757.html

     


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  • Ces lignes sont extraites de "Spinoza : l'expérience et l'éternité" de Pierre François Moreau (à propos du Traité de la réforme de l'entendement, cet ouvrage fondamental de Spinoza):

    "chacun des trois biens peut révéler au sujet, en lui, une forme de misère. Rivé à l'amour des choses périssables, il y déchiffre une triple limitation : dans le plaisir, une impossibilité à faire durer sa joie; dans les richesses et les honneurs, sa propension à s'épuiser dans une recherche indéfinie; dans les honneurs encore, sa tendance à se former par imitation.

    Cette impuissance n'est pas un pur néant: elle est renouvelée par chacune des activités auxquelles se livre le sujet; sa vie, donc , l'engendre perpétuellement. Elle se manifeste une nouvelle fois, avec éclat, au milieu même de l'itinéraire, lorsque le narrateur n'arrive pas à passer de l'aspiration à la décision.

    C'est seulement en allant jusqu'au bout de cette impuissance (en se représentant comme en péril extrême, comme malade) , en faisant le bilan de l'impuissance humaine (en se remémorant souffrances, persécutions et mort) qu'il parviendra à retourner la situation.

    La solution consiste donc moins à échapper à la finitude qu'à la découvrir de façon rigoureuse. C'est cette découverte qui permet l'enchaînement des choix salvateurs..."

    Ce passage est à mettre en relation avec les articles parus ici sur les films "There will be blood" et "Deux jours à tuer" : la différence entre un itinéraire réellement philosophique, c'est à dire au fond réellement "religieux" (en un sens qui ne saurait être celui des "religions" traditionnelles), salvateur (mais au sens du salut explicité par Spinoza, un salut intellectuel et donc existentiel, se situant dans l'indéfinité de la durée de l'existence humaine en chair et en os, non dans un "au delà " imaginaire), et entre la dramatisation artistique de l'anéantissement inéluctable qui est au bout de la vie ordinaire.

    Daniel Plainview, dans "There will be blood", constate lui aussi la finitude de son existence : mais ce jugement ne débouche que sur le désespoir qui entraîne un meurtre qui est aussi un suicide, car il ne résulte pas d'un effort de compréhension philosophique, mais de la fuite en avant et de l'obéisance aux pulsions les plus basses.

    Antoine, le publicitaire de "Deux jours à tuer", trouve dans la certitude de sa mort prochaine et inéluctable la force du désespoir, l'énergie de s'éloigner de sa femme et de ses enfants qu'il aime follement, pour aller retrouver un père qu'il n'a jamais compris et dont il se méfie, pour mourir. Mais cette mort ne "produit" rien pour les générations futures, elle n'a que l'éclat (de diamant noir) d'un feu qui s'éteint, d'une chandelle qu'on souffle, et donc d'une lumière qui ne brillera plus pour personne.

    Alors que la lumière intellectuelle de Spinoza brille éternellement pour ceux qui se fient à sa direction...

    Le caractère inhabituellement tragique des premières pages du Traité de la réforme de l'entendement (inhabituellement s'entend : concernant les ouvrages de philosophie) a été maintes fois souligné. Mais il n'y a rien de surprenant dans cet état de choses, bien au contraire : la philosophie ne saurait se limiter à une recherche uniquement théorique, elle prend naissance à l'occasion des expériences d'étonnement (Platon) et de déception (Descartes, Spinoza) éprouvés par certains individus d'une manière exceptionellement forte, lors de leur existence quotidienne.


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  • Grande nouvelle : Jean Becker a découvert que la vie trépidante  moderne est une vie de cons, qu'on perd sa vie à la gagner, surtout si on la gagne bien, et les critiques unanimes saluent un "film plus noir que d'habitude"...

    Antoine (43 ans), joué par l'excellent Albert Dupontel, est un publicitaire ayant une femme charmante et irréprochable, deux enfants charmants, une maison charmante, des amis et des collègues charmants, et des comptes en banque bien garnis. Un beau jour il pète les plombs, saborde tout, famille, métier, pour partir en Irlande rejoindre son père qu'il n'avait pas revu depuis que celui ci avait tout quitté lui aussi, suite à une infidélité de sa femme, trente ans auparavant...à la fin tout s'explique: Antoine a un cancer, il est en phase terminale, il vient mourir chez son père pour ne pas mourir chez lui sous le regard de ses enfants ou à l'hopital...c'est pour cette raison qu'il n'a pas détrompé sa femme qui croyait qu'il la trompait (détrompé...trompait...très fine terminologie de ma part pas vrai ?Mort de rire) avec une autre femme qui n'était en fait que son médecin...

    Je ne connais pas les autres films de Jean Becker, je serai donc obligé de me fier à Claire Chazal sur le fait de savoir si ce film est "plus noir qu d'habitude"... ou bien peut être voulait elle dire : plus noir que les autres films français récents, les chtis, le film de Marchal l'ancien flic avec Daniel Auteuil, etc... ?

    par contre j'ai plein d'idées pour réaliser un film encore plus noir, beaucoup plus noir même (mais bien entendu j'en serais bien incapable, n'ayant jamais manié une caméra):  car Antoine , dans son malheur, garde quand même sa belle voiture, il a plein d'argent, il peut retirer une grosse liasse de billets pour la donner à un autostoppeur sympathique et qui lui aussi a eu des malheurs..... et si l'on réalisait le même film mais avec un chômeur, ou un ouvrier, incapable de quitter sa femme parce que tout simplement il n'a pas les moyens d'aller coucher ailleurs ? et allez tiens, au lieu d'un cancer (maladie noble, attirant la compassion), on lui collerait une cirrhose du foie, qu'il aurait récoltée lors  de sa fréquentation assidue des bistrots de banlieue ?Horreur !

    veut on un scénario encore plus sombre ? j'ai !!

    car Antoine garde quelque chose qui vaut tout l'or du monde : une belle âme ! mais... parlant de film vraiment "noir" pour le coup : et si l'on mettait en scène un véritable salaud, qui n'a pas du tout le cancer mais veut quitter sa femme pour aller courir la prostipute à Manille, ou en Thailande , ça vaut bien l'Irlande pas vrai ?

    et c'est ici que plein de belles questions métaphysiques feraient leur apparition, et le bonheur des critiques de Télérama : car qu'est ce qui vaut mieux ? être un quadra généreux atteint d'un cancer, ou un "septua" dégoûtant qui meurt d'un infarctus au cours de ses escapades de "touriste sexuel" ? mais au fait, un salaud, l'est il par sa propre faute, ou bien en est il atteint comme par une maladie, cancer, SIDA etc..?

    mais même sous sa forme actuelle, le film "inhabituellement sombre" de Jean Becker soulève beaucoup de questions...par exemple celle ci : Antoine est il vraiment une si "belle âme" que ça ? s'il n'avait pas été atteint d'un cancer, aurait il fait la découverte de l'indignité de son existence de publicitaire profitant (et encourageant) de la bêtise générale? et s'il l'avait faite, aurait il eu le courage de tout foutre en l'air pour devenir un pauvre honnête et digne ?

    d'ailleurs il précise lui même que pendant 15 ans il a "eu la vocation" ... mais alors, qu'était il pendant ces 15 ans ? un imbécile qui croit sincèrement que la publicité contribue au bonheur de l'humanité tout autant qu'à l'enrichissement des "créatifs" (comme ces gens là s'intitulent) ? mais comment un imbécile peut il s'apercevoir de son imbécilité ? et qu'est ce qui vaut mieux : un imbécile courageux , généreux et moral, ou un salaud cynique et intelligent ? non, parce que on sait déjà que le top du top, c'est d'être un type jeune , beau, intelligent, généreux, moral, riche et bien portant...n'est ce pas ?Mort de rire

    bref : un film sombre, plus sombre que les Ch'tis en tout cas, et qui soulève plein d'interrogations... ce n'est déjà pas si mal pour un film français en 2008 Clin d'oeil


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  • En 1968 j'avais 15 ans, et je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie Clin d'oeil

    "La question humaine" est un film récemment sorti, dont les imperfections (pour ne pas dire plus) sont assez évidentes pour que je ne m'étende pas davantage dessus. C'est néanmoins un film extrêmement important, auquel j'avais consacré sur un ancien blog un commentaire que je recopierai en annexe à cet article, car je n'en renie pas un mot.

    Le réalisateur , Nicolas Klotz, s'exprime ainsi à propos de ce film :

    "On tente de montrer que l'époque moderne s'est construite dans la lumière fossile de la Shoah; elle est empreinte de sa violence"

    J'irai pour ma part nettement plus loin, et dirai sans doute des choses qui pourront paraitre assez scandaleuses, ce que je regrette et dont je m'excuse, car je n'aime pas choquer pour choquer, je suis trop vieux pour cela....aussi voudrais je m'expliquer un peu sur quelques sujets "connexes", afin que l'on me comprenne exactement, et surtout que l'on n'interprète pas mes dires dans un sens qui n'est pas le leur.

    Mai 1968 signe "l'envoi" de cette époque historiale  "mondialisée" qui est la nôtre, et des problèmes qui forment notre horizon. Or Mai 68 fait partie de ces choses qui apparaissent "dans la lumière fossile de la Shoah".

    Virginie Linhart, fille de Robert Linhart, fondateur en 1966 de  l'Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes, a fait paraitre  cette année un livre que je n'ai pas (encore) lu, à propos de son père, de son aventure à l'usine après 1968, et de son entrée dans le "silence" en 1981 : "Le jour où mon père s'est tu" , voir à ce propos:

    http://forums.nouvelobs.com/1338/Virginie_Linhart.html

    voir à propos de Robert Linhart (cest lui qui est au centre sur la photo en tête de cet article, en conversation avec Daniel Cohn-Bendit, le 1 er Mai 1968):

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Linhart

    Je n'ai pas (encore) lu le livre de Virginie Linhart, et le regrette, mais je suis entièrement d'accord avec cette explication qu'elle a donnée de la proportion importante (pour ne pas dire plus) de "juifs" (de personnes d'origine juive) parmi les leaders (encore que ce mot n'est guère approprié peut être ?) du mouvement :

    "ils ont voulu cesser d'être , aux yeux des autres comme à leurs propres yeux, des survivants, et ils ont donc pris la parole, foutu le bordel, etc..."

    Cette observation-explication, il y a très longtemps que je l'avais effectuée moi même, peut être pas en 1968 même, mais peu après... c'est exactement cela que je veux dire quand je replace les évènements de 1968 dans la "lumière fossile", ou la "trainée d'épouvante", de la Shoah.

    On n'a pas assez pris conscience de la proximité (temporelle) des années 60 avec celles de la deuxième guerre mondiale. Et on n'en avait déjà plus conscience lors de ces années 60. Et pourtant... il n'y avait que 20 ans d'écart, autrement dit à peu près rien...mais aussi beaucoup, soit la période qui nous sépare des années 80, les années "fric", les années Mitterand-Tapie-Le Pen, ou bien la période qui sépare les années 80, celles de la "crise" qui aboutissent en 1989  à la fin de l'ancien ordre (ou désordre plutôt Mort de rire), des années de la "pleine croissance", des "trente glorieuses" (si peu glorieuses, en fait ).

    Et c'est à partir des années suivant 68 que l'on a commencé à parler vraiment de la Shoah... et aussi à tenter de la nier !

    C'est ici le lieu de me situer , personnellement, à la fois par rapport à la question du judaïsme, et à 68... je serai bref, et pour cause !

    Né "juif", d'une famille juive, je ne me considère pas comme juif. On ne m'a rien, ou à peu près rien, "transmis", et l'aurait on fait que je ne pense pas que mon évolution en eût été modifiée. Tous ceux qui ont lu un peu ce blog comprendront immédiatement pourquoi le judaïsme, ou les "valeurs" juives, ou la "question juive" ou la "culture " juive, pour ne pas parler de la "religion", n'ont pas plus d'importance à mes yeux que tout autre folklore : breton, auvergnat, scandinave ou wolof....

    et pourtant ! c'est si clair et si simple en apparence, mais si compliqué ! pour quelqu' un comme moi, le choix est assez limité en apparence : soit "est juif celui que les autres considèrent comme juif" (dixit Sartre) mais justement, je me suis toujours efforcé de ne pas tenir compte (ce qui n'est pas toujours facile cependant) de ce que les autres pensent de moi...ou bien "est juif celui qui se considère comme juif", et justement ce n'est pas mon cas. il n'y a pas tellement de choix intermédiaires, à part peut être celui des définitions "objectives"...sans intérêt à mes yeux !

    donc résumons : je ne me considère pas comme juif, donc je ne suis pas juif...et pourtant ce n'est pas aussi simple ni tranché : "cela" vous colle à la peau, et je ne saurais dire simplement pourquoi! moi qui refuse absolument l'indéfinissable, ou l'ineffable, je me vois comme contraint d'en reconnaitre une "trace". Aussi m'arrêterai je là à ce sujet...j'en terminerai là dessus en indiquant juste ma position relativement à Israel : je soutiens inconditionnellement cet Etat ! "inconditionnellement" cela veut dire : quoiqu'ils fassent, dans l'avenir...c'est un pays qui ne signifie rien pour moi (personnellement) , je n'y suis jamais allé et n'irai sans doute jamais, mais on en a marre de ces donneurs de leçons... dont une bonne proportion de "juifs" d'ailleurs. Ce sont les Israéliens qui sont le mieux à même de juger ce qu'il faut faire, et ce sont les seuls à pouvoir le faire. Et n'importe quel observateur de bonne foi devra reconnaitre le pril extrême où sont les Israéliens, entourés d'une "ceinture" de haine (celle de l'antisémitisme musulman), voir :

    http://www.bivouac-id.com/2008/04/30/lantisemitisme-musulman-la-nouvelle-menace-disrael/

    Mais j'ai aussi une raison plus personnelle de soutenir l'Etat d'Israel : c'est qu'il met fin à ces balivernes de l'élection ! Israel, le peuple juif, (re)devient un peuple comme tous les autres(ou du moins comme tous les autres devraient l'être) , avec sa "terre", son Etat, etc...

    Sur Mai 68 maintenant : je n'y ai pas participé du tout ! parce que, déjà, la peur panique devant  tout "regroupement", devant  toute agitation ou manifestation collective, m'habitait, et elle ne m'a plus quitté depuis. J'ai passé cette période à lire "Ulysse" de Joyce... et à siroter le whisky familial. On a les initiations qu'on peut !Mort de rire

    Que l'on m'entende bien : je ne suis pas fier de mon inaction "petite bourgeoise" ! et envers les vrais soixante-huitards, j'éprouve une grande admiration. Les vrais soixante-huitards, ce sont pour moi ceux qui ont été jusqu'au bout de leur engagement : les Linhart, les Recanati...ainsi que tous les autres, les anonymes, qui ont sombré corps et biens, dans le désespoir, ou la drogue.

    Par contre, envers les autres, ceux qui sont passés du maoîsme aux "droits de l'homme" style "nouveaux philosophes", ou au libéralisme économique déchainé, puis plus récemment au soutien à Sarkozy.... je serai charitable, je garderai le silence !Clin d'oeil

    mention spéciale cependant pour "Danny le rouge" , que j'ai entendu dans les années 90 en train de "relativiser" la monstruosité des activités du FIS en Algérie... sous le prétexte que le gouvernement algérien n'était pas plus respectable....

    Mais ce qui compte, du point de vue développé ici, sur ce blog,  ce n'est sans doute pas mon sentiment envers les uns (admiration et respect) ou les autres (mépris total) : c'est le verdict "intellectuel" sur toute cette période. Et j'ai bien peur qu'il ne soit celui ci :

    "les gars, vous êtes vraiment tous des cons ... et  des cocus !"

    et le plus malheureux dans cette histoire, c'est que ceux qui se sont laissés avoir sur toute la ligne, ceux qui ont tout perdu, ce sont justement les plus dignes d'admiration ! ceux qui étaient honnêtes et sincères, et qui ont eu le courage de pousser leur engagement jusqu'au bout !

    là encore il s'agit de dissiper une ambiguité : je ne les critique pas comme on le fait d'habitude, à la façon "nouveaux philosophes pour les droits de l'homme", en leur reprochant par exemple d'avoir soutenu la dictature maoîste lors de la période des "gardes rouges".

    Je me suis déjà largement expliqué sur la période de l'après guerre, marquée selon moi par un recul intellectuel sur tous les plans(sauf sur celui des sciences "dures")....qui aboutit au relativisme "multiculturel" actuel, c'est à dire au chaos, au marécage.

    Mai 68, et toute la période qui le précède après 1945, ne pouvait qu'aboutir au chaos, et au cocufiage généralisé qu'ont constitué les "années Mitterand", parce qu'il y manquait la vigueur, la force et l'exactitude de la pensée.

    Ce qui manque à notre temps, c'est un philosophe de la stature de Descartes !

    Descartes a défini, par sa philosophie, la voie médiane entre l'Ecole (la scolastique thomiste , qui s'écroulait) et les "athées et libertins" (les sceptiques). Il y a réussi en alliant la version de la science de son temps (le "mécanisme") avec le spiritualisme véritable, qui n'était rien moins que celui de l'Ecole.

    Mais notre époque est caractérisée par un stade différent de la science : celui de la relativité et de la physique quantique. Et elle a donc besoin d'une nouvelle philosophie. Ce "nouveau Descartes" est il Brunschvicg ? disons qu'il est le philosophe qui est allé le plus loin dans cette voie, mais il est venu trop tôt pour pouvoir bâtir la nouvelle philosophie dont l'époque a besoin, cela lui était impossible car la physique quantique était encore en plein développement au moment où il arrivait à la fin de sa carrière philosophique. Il était trop vieux de 50 ans ! et quand aux continuateurs possibles, ils sont morts à la guerre (Lautman, Cavaillès....).

    Lorsque je lis le "programme" de l' UJC fondée par Linhart :

    « [...] mener une lutte idéologique intransigeante contre l'idéologie bourgoise et son complice révisionniste, contre l'idéologie petite-bourgeoise, particulièrement l'idéologie pacifiste, humaniste et spiritualiste... Elle doit créer une université rouge qui pourra se mettre au service des ouvriers avancés, de tous les éléments révolutionnaires. »

    je me dis que le "ver était dans le fruit" et que l'échec (le cocufiage mitterandien et "nouveaux philosophes-droits de l'hommistes" ) était assuré. Car si la lutte contre l'Ecole apparait (et s'appelle lutte contre l'idéologie bourgeoise) il manque le versant "lutte contre les athées et libertins", c'est à dire, pour notre temps : lutte contre les neo-sceptiques, les relativistes à la Rorty ou Wittgenstein, etc...et finalement ce sont bien ceux ci qui ont gagné, sous leur forme de "nouveaux philosophes", à partir des années 75....nous connaissons la suite ! elle mène jusqu'à nous, à nos temps de capitalisme mondialisé déchainé....

    "Le temps du délire" est le titre d'un livre écrit par Hermann Rauschning pour mettre en garde l'humanité contre Hitler et son idéologie, qu'il connaissait bien . Je suis persuadé que ce livre nous concerne encore, parce que le chapitre du nazisme et de la Shoah n'est pas clos... en veut on une preuve ? la voici, c'est pour moi le scandale du génocide rwandais de 1994, que tout le monde a laissé faire alors que tout le monde était au courant de ce qui se passait, et qu'il était facile d'intervenir militairement dès le début pour arrêter le massacre. Giscard a bien envoyé la légion sauter sur kolwezi en 1978, pourquoi Mitterand n'a t'il pas pu faire de même en 1994 ? bien sûr, c'était beaucoup plus risqué...

    et maintenant l'ONU, qui a laissé faire le génocide de 1994 sans réagir, vient préparer de nouvelles lois "contre le blasphème" , sous l'égide de pays musulmans, bien connus pour leur respect des droits de l'homme !

    Oui, je suis persuadé qu'au fond, le nazisme n'a perdu la guerre qu'en apparence, que son idéologie a "mué" et est maintenant à l'oeuvre sous une autre forme... que nous sommes en train de découvrir! Je m'en expliquerai plus à fond plus tard, et pouir aujourd'hui je me borne à recopier le tetxe que j'avais écrit lors de la sortie de la "Question humaine"...

    La QUESTION HUMAINE, ou la lumière fossile de la SHOAH | 13 septembre 2007

    "On tente de montrer que l'époque moderne s'est construite dans la lumière fossile de la Shoah; elle est empreinte de sa violence" : ainsi s'exprime Nicolas Klotz, réalisateur du film qui vient de sortir sur les écrans, "La question humaine".

    C'est un film à voir, très ambitieux, un peu ridicule, mais tout ce qui est ambitieux n'est il pas ridicule, de nos jours ? et puis au moins cela tranche sur la nullité de ce qui sort semaine après semaine...

    Je ne veux d'ailleurs pas ici me soucier du but du film, de sa réalisation, je n'ai aucune compétence pour cela, je désire juste livrer en vrac quelques réflexions "comme un cheveu sur la soupe à son propos"; je donne cependant ces quelques liens à propos du film :

    Paris, de nos jours : Simon, 40 ans, travaille comme psychologue au département des ressources humaines de la SC Farb, complexe pétrochimique, filiale d'une multinationale allemande, où il est plus particulièrement chargé de la sélection du personnel.
    Un jour Karl Rose, le co-directeur de la SC Farb demande à Simon de faire une enquête confidentielle sur le directeur général Mathias Jüst, de dresser un rapport sur son état mental. Ne pouvant pas se soustraire à la requête de Rose et ne voulant pas risquer de se mettre mal avec Jüst, Simon accepte du bout des lèvres, en se promettant de conduire une enquête discrète et de rendre un rapport le plus neutre possible... mais très vite en pénétrant dans la nuit d'un homme, Simon entre dans la sienne : Une nuit hantée par les fantômes et les spectres de l'Europe contemporaine."

    http://www.liberation.fr/culture/cinema/festivaldecannes/254761.FR.php

    http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3476,36-953813,0.html?xtor=RSS-3476

    http://birenbaum.blog.20minutes.fr/archive/2007/09/10/travailler-moins-pour-gagner-moins.html

    pour ma part je placerais le film sous la garde de ces quelques extraits de Georg Trakl, le poète allemand  commenté par Heidegger (et par lui seul, s'agissant de philosophie et du destin historial de l'Occident) :

    "je vis entre la fièvre et l'évanouissement, dans des chambres ensoleillées où il fait un froid indicible", "ces derniers temps j'ai englouti une mer de vin, de schnaps et de bière" (1913)

    1914 : du 6 au 11 septembre bataille de Grodek, Trakl qui est médecin militaire (ou ambulancier ? ou infirmier ?) sur le front soigne les blessés : "je suis en observation à l'hopital militaire de Cracovie, pour troubles mentaux. Ma santé est en péril et je sombre très souvent dans une tristesse indicible"; derniers poèmes ; "je me sens presque déjà de l'autre côté du monde". Mort le 3 novembre 1914 suite à absorption de cocaïne.

    Cela fait beaucoup d'indicibles observera t'on, et beaucoup d'alcool .....

    quelques extraits de ses poèmes maintenant :

    "une branche me berce dans le bleu profond. Dans la confusion folle des feuilles d'automne scintillent des phalènes enivrés. Des coups de hache sonnent dans les prés"

    "l'appel d'un merle égaré et plaintif au jardin de la soeur silencieux et figé; un ange est devenu"

    et enfin le poème "Grodek" justement :

    "Le soir les forêts automnales résonnent d'armes de mort , les plaines dorées , les lacs bleus , sur lesquels le soleil plus lugubre roule, et la nuit enveloppe des guerriers mourants la plainte sauvage de leurs bouches brisées. Mais en silence s'amasse sur les pâtures du val, nuée rouge qu'habite un dieu en courroux, le sang versé, froid lunaire ; toutes les routes débouchent dans la pourriture noire. Sous les lambeaux dorés de la nuit et les étoiles chancelle l'ombre de la soeur à travers le bois muet....

    O deuil plus fier ! autels d'airain !

    La flamme brûlante de l'esprit, une douleur puissante la nourrit aujourd'hui,

    les descendants inengendrés"

    il parle de nous autres (les descendants inengendrés). "génération technique pure" dit le film de Klotz.

    Bien entendu le film pourra paraitre scandaleux à beaucoup : dire que la capitalisme libéral mondialisé est le fils naturel du nazisme, c'est aller très loin. mais le film dit il cela ? oui et non... ou plutôt je n'en sais rien. Il s'agit d'une oeuvre d'art, pas d'un traité de philosophie ou de sociologie.

    En fait ce que l'on entend dans le film, c'est que la langue "technico-commerciale" des rapports d'experts , de DRH, et autres "comités de pilotage" (comme en langue choisie s'expriment ces gens là !) est "habitée", "cache", "recouvre" (comme sur les chantiers d'archéologie des couches alluviales recouvrent des sites antiques) une autre langue, qui déjà "dissimulait" son objet réel : la langue des rapports techniques nazis sur l'extermination.

    Le film va plus loin : il trace un parallèle explicite entre les expulsion de "sans papiers" d'Europe, avec l'obsession d'obéir aux objectifs chiffrés et planifiés (par Sarkozy entre autres) , et aussi entre les stratégies de "dégraissage", les plans de diminution du personnel, avec les objectifs précis permettant de "discriminer" ceux qui restent et ceux qui sont virés , de même qu'à l'entrée d'Auschwitz il y avait deux voies... mais cela dit il y en a deux aussi au début de Deutéronome, quand Moïse s'adresse à tout Israel rassemblé : voie de la vie et voie de la mort. Dans le système de pilotage d'entreprise, ce sont les "absentéistes", les alcooliques et les "déficits d'adaptabilité" qui trinquent et prennent la voie de la sortie..

    Or chez nous et chez Himmler il n'y a plus que la mort : "toutes les routes débouchent dans la pourriture noire". Voie de la vie (ceux qui restent dans l'entreprise) = voie de la mort. Et c'est bien à une mort rythmée par les réunions et séminaires que se vouent ces cadres dynamiques, tous pareils et interchangeables, dans leurs costumes sombres. Le soir ils se saoûlent en boite techno, comme des japonais en goguette ; ils couchent aussi entre eux, mais le sexe n'est là aussi qu'un instrument de pouvoir; la femme est pareille à l'homme, ou vice versa, c'est bien "l'ombre de la soeur" absente, de la "fiancée des étoiles", qui est dépeinte dans le scénario.

    Scandaleux bien sûr ! et ridicule ai je dit ! j'ai assez dit leur fait aux "défenseurs de sans papiers" pour ne pas cautionner ces thèses "gauchisantes".

    Mais nous ne sommes pas ici , sur ce blog spécialement, pour nous complaire dans nos certitudes et nos évidences ; bien entendu, les juifs dans les camps étaient gazés, tués ; les ouvriers ou les cadres chassés de l'entreprise ne sont pas mis à mort. Sauf que s'il y a alcoolisme, ils peuvent avoir quelques difficultés à se "réinsérer" comme on dit... quel est ce grand militaire, qui frappé par un boulet et interrogé sur ce qu'il ressentait, avait répondu : "une certaine difficulté d'être" ...?

    si le système de la production-consommation-commercialistation tend à englober TOUT, et c'est bien là la nature totalitaire du Gestell mondialisé et globalisé, alors je suis désolé de devoir dire qu'il n'y a plus aucune place dans "le monde" pour ceux qui en sont chassés : "ils nous offrent une tombe dans les nuages, on n'y est pas couché à l'étroit" 

    Raymond Abellio parle quelque part, dans "Les yeux d'Ezéchiel sont ouverts" je crois, de l'alcool comme "instrument de sélection" : nous sommes bien dans ce registre chez Klotz; alcool, sexe, ce sont là les legs du dionysisme... très ancien héritage, aussi vieux que le judaîsme dont dérivent christianisme et Islam qui sont comme je l'ai dit ailleurs la cause réelle du génocide arménien ou de la Shoah : l'habillage racial nazi n'est justement qu'un habillage, les races n'existent pas, et sous ce paravent apparait l'atavisme religieux de haine et de pogroms..

    Nous devons, nous spécialement à "Mathesis universalis", rester les yeux ouverts et regarder en face cette autre évidence : d'une certaine façon, la "pseudo-modernité" contemporaine (la modernité pour nous désignera plutôt le 17 ème siècle cartésien et spinoziste, ce bref intermède où science et philosophie allaient encore de concert), qui inclut le nazisme, descend bien du cartésianisme, et donc est bien un fruit (pourri) de notre arbre, celui que nous entendons arroser et cultiver ici, l'arbre des sciences dont parle Descartes, dont le tronc est celui lui la "philosophia prima", la métaphysique...

    au fond, qu'est ce qui caractérisait la "banalité du mal", l'horreur spécifique de l'extermination "industrielle" qui est celle de la Shoah ? cela est dit dans le film, vers la fin, dans l'exposé d'Arieh Neumann (voir le film) , c'est le caractère industrile, le fait qu'aucun individu n'était "responsable" du tout, (sauf peut être les quelques chefs de niveau le plus élevé) parce qu'il était limité à sa tâche bien précise et "cadrée", "planifiée" avec une rigueur extrême.

    Nous reconnaissons là la décomposition d'une tâche globale en une multitude de petites tâches, selon le schéma du taylorisme industriel.

    C'était là aussi le grief qu'avait Theodor "Unabomber" Kaczynski, le célèbre mathématicien devenu terroriste, contre la société moderne : le fait que personne n'a de vision d'ensemble de son travail et de toutes ses implications, de ses tenants et aboutissants. Ce qu'il expose dans son "Unabomber's manifesto", qui est lisible sur le web.

    Cela découle bien, si l'on se place au niveau philosophique qui sous-tend ces schémas "techniques" (la technique est l'achèvement de la métaphysique disait Heidegger)  du cartésianisme si l'on veut bien se reporter aux "Règles pour la direction de l'esprit", qui sont le premier exposé de la "méthode", ou "mathesis universalis" :

    Règle 5 :

    "Toute la méthode consiste dans l'ordre et l'arrangement des objets sur lesquels il faut faire porter la pénétration de l'intelligence pour découvrir quelque vérité. Nous y resterons soigneusement fidèles si nous ramenons graduellement les propositions compliquées et obscures à des propositions plus simples"

    voir aussi la règle 6..."il faut dans chaque série de choses où nous avons directement déduit quelques vérités les unes des autres, remarquer ce qui est le plus simple"

    C'est aussi le même mouvement intellectuel qui préside au calcul différentiel, inventé par Leibniz peu après Descartes : décomposer en éléments les plus simples possibles, en "atomes" pourrait on dire.

    Mais je ne vais quand même pas me tirer une balle dans le pied , et dirais je, la réponse est dans la question : Descartes parle de "recherche de la vérité" (règle 4), de pénétration de l'intelligence... qui n'est guère la caractéristique principale du nazisme, non plus que des "comités de pilotage" en entreprises !

    et s'il fallait encore enfoncer le clou, lisons la règle 7:

    "pour l'achèvement de la science, il faut passer en revue une à une toutes les choses qui se rattachent à notre but par un mouvement de pensée continu et sans interruption" :

     l'argument de Kaczynski ne saurait donc être valable ici, le bsoin de "totalité" (relative à un domaine de pensée) est satisfait; le sujet (intellectuel) est sauf ! Dionysos démembré n'est décidément pas de chez nous... nous laissons cela aux nazis.

    Et puisque j'ai commencé par Trakl, je terminerai par la fin d'Urizen, de William Blake... et la révélation (quasi-gnostique) de la vraie nature du dieu démiurge de l'abrahamisme. Nos petits cadres et DRH s'y reconnaitront (notamment dans le "filet d'Urizen") :

    5. And their children wept, & built
    Tombs in the desolate places,
    And
    form'd laws of prudence, and call'd them
    The eternal laws of God

    6. And the thirty cities remaind
    Surrounded by salt floods, now call'd
    Africa
    : its name was then Egypt.


    U28.10
    7. The remaining sons of Urizen
    Beheld their brethren shrink together
    Beneath the Net of Urizen;
    Perswasion was in vain;
    For the ears of the inhabitants,
    Were wither'd, & deafen'd, & cold:
    And their eyes could not discern,
    Their brethren of other cities.
    8. So Fuzon call'd all together
    The remaining children of Urizen:
    And
    they left the pendulous earth:
    They called it Egypt, & left it.

     

    mais l'on admettra que sur "Mathesis universalis" je ne peux laisser le mot de la fin aux poètes, pas plus qu'aux mystiques, soufis ou autres kabbalistes...

    je terminerai donc, réellement cette fois, par le problème de la langue, qui, et là j'en tombe d'accord avec Klotz, et c'est d'ailleurs la thèse de Klemperer  dans "LTI : lingua tertii imperii", qui d'ailleurs a eu une suite sur la 5 ème république par Hazan : "LQR : lingua quintae respublicae", devient de plus en plus langue de propagande.

    Seulement si la langue peut devenir instrument de propagande, c'est bien qu'il y a quelque chose de pourri au royaume des mots : on reconnaitra là la principale thèse de Léon Brunschvicg, dont la philosophie consiste en une guerre incessante contre l'entropie naturelle du langage; en une défiance vis à vis des "logoï" et un recours concomitant aux "mathemata" . "Word ! words ! words !" disait déjà Hamlet pour qualifier la scolastique, ainsi que : "Il y a plus de choses au ciel et sur la terre, Horatio, que dans toute votre philosophie" (il désignait ainsi la scolastique, dont Descartes marque pour l'humanité  l'émancipation).

    Certes la mathématique, et singulièrement la théorie des catégories, peut servir d'outil aux "comités de pilotage"; mais cela n'est qu'un usage parmi d'autres, et nous autres , dans la direction que nous a montrée Brunschvicg, nous visons ici un "niveau" tout à fait différent, celui de la physique par exemple, ou celui de la philosophie dont rêvaient Leibniz et Gödel...
     


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