• Alain BADIOU : "de quoi Sarkozy est il le nom ?"

    Le livre récent d'Alain Badiou : "De quoi Sarkozy est il le nom ?" me donne l'occasion de rappeler ici, très sommairement, notre position vis à vis de  la philosophie de Badiou , et en quoi nous pouvons rejoindre son engagement contre Sarkozy, ou plutôt contre tout ce dont Sarkozy est le symptôme.

    J'irai droit à l'essentiel , c'est à dire, parmi la "liste" (qui n' en est pas une selon Badiou, ni un "programme") des huit "points" à tenir , au point 3:

    "La science, qui est intrinsèquement gratuite, l'emporte absolument sur la technique, même et surtout profitable"

    Un "point", chez Badiou, doit être conçu comme un "fort" en plein désert, à tenir coûte que coûte contre la "loi du monde" (qui est de nos jours le service des biens et du profit). C'est un "lieu" où la complexité du monde est convoquée à la simplicité du "deux", du choix binaire : soit je résite et je suis victorieux, soit je cède et suis vaincu. Il y a des rapports complexes avec la définition d'un point en théorie des topos. Un point se situe en exception, en "trouée" de la réalité; s'il n'y a pas de point à tenir, alors la seule issue (en dehors du suicide) est la survie dans la soumission à l'abjecte réalité.

    Une telle pensée est de nature héroïque, tout comme celle d'Husserl dans la "Krisis", tout comme celle du "pessimisme rationnel" de Brunschvicg, et en cela nous ne pouvons que l'admirer. Les huit points proposés par Badiou ne sont pas un "programme", d'abord parce qu'ils ne sont pas exclusifs, et ensuite parce qu'il suffit d'en tenir un et un seul, peu importe lequel, pour échapper à la "particularité du service" dans l'universalité d'une discipline de vérité.

    Sur ce blog consacré à la science et à ses rapports avec la philosophie, c'est évidemment le point 3 qui nous retient, et je ne peux que répondre un "oui" sans aucune arrière pensée à ce qui est ici proposé par Badiou.

    C'est la thèse fondatrice des recherches entreprises ici que la naissance de la science moderne, au 17 ème siècle en Europe, constitue une rupture absolue, une mutation épistémologique, philosophique et finalement ontologique  : voir Husserl, qui oppose l'humanité "européenne" qui se donne alors une tâche "infinie" selon une téléologie immanente de recherche de la Vérité et d'universalité , aux humanités simplement ethniques et finies. Brunschvicg lui va jusqu'à dire que l'humanité nait à cette époque, à proprement parler, il veut dire l'humanité dans sa dimension rationnelle et non pas dans celle de l'animal humain dont nous parle la théorie de l'évolution... bien évidemment Badiou ne se  reconnaitrait absolument pas ici...

    Qu'est ce qui motive cette cassure en deux de l'Histoire avec la naissance de la science moderne ? certainement pas les avancées techniques, car elles ne verront le jour qu'à partir du 18 ème siècle avec les premières machines à vapeur. Il est donc certain que la science précède, à la fois ontologiquement, logiquement et temporellement, la technique, la techno-science, le "dispositif" de Heidegger. Et elle est pour nous absolument autre que cette dernière. La Chine connaissait déjà toutes les découvertes techniques de l'Europe à la Renaissance : mais la différence est qu'elle n'avait pas songé à élaborer une théorie universelle du réel pour expliquer pourquoi ces découvertes fonctionnaient. de même une telle universalité manquait dans la science arabe, et dans tous les stades antérieurs dits "scientifiques".

    Je m'inspire aussi de Renan dans "l'Avenir de la science" pour dire que la science ne peut que remplacer la religion, elle est la véritable religion, propre à rapprocher les hommes, tous les hommes, dans l'amour spirituel qui nait de la recherche en commun de la vérité. Le "Dieu" , ou l'Absolu, dans cette optique, a la nature d'un ou de "principes intellectuels", il s'oppose aux (faux) dieux de la supersition religieuse populaire, envisagés de manière anthropomorphique comme ayant des buts, des sentiments, des visées, des relations avec des êtres situés dans l'espace temps.

    Au 17 ème siècle, pas plus qu'en Grèce antique, philosophie et science ne sont séparées. Le dernier stade reconnaissable de ce destin et de cette nature commune est la "mathesis universalis" de Descartes et Leibniz, c'est là la raison de l'importance que j'accorde à celle ci, d'où le nom de ce blog. Mais immédiatement après, à compter du début du 18 ème, on assiste à la rupture entre philosophie et science, se caractérisant essentiellement par la rupture entre philosophie et mathématique.

    Telle est selon moi l'origine du "mal" moderne; et le sarkozysme ne vient qu'entériner, pour la France, le dernier tour de vis de cette tendance profonde, vieille de plusieurs siècles. Et le diagnostic de Smolin et de Woit sur l'impasse actuelle de la physique ne peut que confirmer cela : nous nous trouvons bien, à ce stade de la globalisation et de la mondialisation, devant un abîme où le seul choix laissé à l'humanité semble être celui de la vie purement animale, la "concurrence généralisée" pour le profit économique, disons le nettement : la "guerre de tous contre tous".

    S'il n 'y a que cette seule option, ce choix n'en est pas un : et c'est bien là ce qui "nous arrive" en réalité. Mais une alternative imaginaire et fantasmatique est donnée, notamment dans les discours de Sarkozy, Bush, ou de leur émules islamiques : celui de la religion, de l'Autre monde, du "Monde futur"....bref, pour nous, celui de la superstition religieuse et des balivernes messianiques.

    Par contre est oublié, définitivement enterré semble t'il, ce qui seule, selon nous, peut constituer une alternative réelle à l'animalité pure : le projet scientifique et philosophique d'intelligibilité totale qui fonde l'Occident, celui que l'on trouve chez Spinoza.

    aussi répondrons nous : "présent!"  à l'appel de Badiou pour son point 3...

    quelques mots enfin sur certains autres "points" de Badiou, très brefs car il ne s'agit pas ici de régler des comptes avec cette pensée, ce serait dérisoire et de toutes façons Badiou s'en fout absolument ...

    Les points 2 et 7 ne me posent pas de problème, ils vont pour moi de soi ...

    Point 2 : " L'art comme création, quelles que soient son époque et sa nationalité, est supérieur à la culture comme consommation, si contemporaine soit elle"

    Point 7 : "Un journal qui appartient à de riches managers, n'a pas à être lu par quelqu'un qui n'est ni manager ni riche"

    un journal, ou une radio, ou une chaine de télévision...sans parler des sites web !

    Les désaccords commencent avec les autres points, notamment le 1 ou le 4 :

    Point 4  : "l'amour doit être réinventé, mais aussi tout simplement défendu"

    Je n'ai pas le courage ici de battre le rappel contre cette noble cause de l'amour (il parle ici de l'amour entre homme et femme, pas de l'amour purement spirituel dont parle Brunschvicg et qui nait de la recherche rationnelle en commun)... qui voudrait dire du mal de l'amour , au grand dam de Johnny Halliday et autres Emmanuelle Béart, et passer ainsi pour un monstre ?

     je dirai donc simplement que cette "cause" m'apparait encore bien plus désespérée que celle du point 3, si cela est possible...et donc je passe !

    pour finir j'en viens quand même à ce qui me parait l'atavisme déplorable de tous les "anciens" du marxisme ou  du gauchisme historiques. Je signe pourtant des deux mains à l'hypothèse communiste que décrit Badiou (tout en rappelant que les communistes tels qu'ils ont vécu et agi ne l'ont jamais validée ni même approchée, même de loin... sans parler des divers "régimes communistes").

    non ce dont je veux parler c'est du rôle messianique donné au prolétariat dans le marixsme, celui en tout cas des révolutionnaires soviétiques et de leurs émules. Un rôle qui passe maintenant,chez Badiou  à la "jeunesse populaire d'origine immigrée", si j'en crois le développement bouleversant de la page 94, et qui sort d'un passage de la République de Platon, à la fin du livre IX, où Socrate répond à ses interlocuteurs qui lui signalent que ce qu'il leur a dit à propos de la politique est impossible à réaliser  : "oui dans la cité où l'on est né c'est peut être impossible, mais ce sera peut être possible dans une cité étrangère".

    Badiou interprète ceci comme un appel à l'exil, à l'expatriation, et il a raison, mais a t'il le droit pour autant d'aboutir à ces grandes envolées lyriques que sont :

    "la masse des ouvriers étrangers et de leurs enfants témoigne, dans nos vieux pays fatigués, de la jeunesse du monde, de son infinie variété.... sans eux nous sombrerons dans le nihilisme et l'ordre policier.... que les étrangers nous apprennent à devenir étrangers à nous mêmes, assez pour ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s'achève et dont nous n'avons plus à attendre que la stérilité et la guerre"

    il me semble problématique de passer de l'appel de Socrate (qui réclamerait de nous, si nous le prenions au pied de la lettre, de quitter l'Europe, comme l'a fait René Guénon pour devenir en Egypte le shaykh Abd Al Wahid" à la déclaration d'amour pour les immigrés et à l'espoir que Badiou place en eux...

    attention, il ne s'agit pas non plus de tomber dans l'excès inverse, celui de Le Pen, et de diaboliser l'immigration et les immigrés !

    mais ceux ci sont ils venus pour obéir à l'appel philosophique que Socrate lançait il y a 2500 ans ? certainement pas ! plutôt pour fuir la misère, la guerre, la famine, ou tout au moins pour trouver un sort plus enviable matériellement parlant.

    aussi serait il vain de placer un quelconque espoir de "rédemption" en eux , pour l'homme "blanc" fatigué, nihiliste et revenu de tout.

    Et d'ailleurs l'évolution de personnes comme Rachida Dati ou Rama Yade, qui se ruent dans les bras de Sarkozy et se crêpent le chignon pour approcher de plus près l'élu de leur coeur, semble confirmer cette thèse.

    D'ailleurs Badiou lui même ne craint il pas, lors de la toute récente dernière séance de son séminaire, que la "jeunesse populaire" ne se sépare en deux camps , là encore sortis de la République de Platon retraduite et adaptée par les soins de Badiou (et rien à redire de cette traduction elle est extraordinaire et en remontrerait à maint helléniste grognon) : celui des "gros costauds adeptes du sport et des arts martiaux", et celui des "adeptes de la musique, c'est à dire du baladeur, MP3, CD, etc...". En un mot, le groupe des délinquants et émeutiers, dont on a vu hélas pour Badiou que la haine ne se limite pas aux "keufs" mais s'étend aussi aux lycéens "blancs" qui manifestent, et le groupe des gentils "intégrés" , qui ont perdu toute volonté de changer la société et s'adptent à l'abjecte réalité.

    Je trouve cela attristant de voir cet atavisme de cocus des anciens marxistes ou gauchistes : cocufiés par la classe ouvrière, dont le seul rêve a été celui de l'embourgeoisement , de l'ascenseur social et de la consommation à tout prix, ils récidivent avec l'immigration musulmane, et font campagne contre l'islamophobie et pour le libre port du voile... comme cela est désespérant ! Horreur !


     


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