• I AM FINISHED : expérience et finitude chez Spinoza

    Ces lignes sont extraites de "Spinoza : l'expérience et l'éternité" de Pierre François Moreau (à propos du Traité de la réforme de l'entendement, cet ouvrage fondamental de Spinoza):

    "chacun des trois biens peut révéler au sujet, en lui, une forme de misère. Rivé à l'amour des choses périssables, il y déchiffre une triple limitation : dans le plaisir, une impossibilité à faire durer sa joie; dans les richesses et les honneurs, sa propension à s'épuiser dans une recherche indéfinie; dans les honneurs encore, sa tendance à se former par imitation.

    Cette impuissance n'est pas un pur néant: elle est renouvelée par chacune des activités auxquelles se livre le sujet; sa vie, donc , l'engendre perpétuellement. Elle se manifeste une nouvelle fois, avec éclat, au milieu même de l'itinéraire, lorsque le narrateur n'arrive pas à passer de l'aspiration à la décision.

    C'est seulement en allant jusqu'au bout de cette impuissance (en se représentant comme en péril extrême, comme malade) , en faisant le bilan de l'impuissance humaine (en se remémorant souffrances, persécutions et mort) qu'il parviendra à retourner la situation.

    La solution consiste donc moins à échapper à la finitude qu'à la découvrir de façon rigoureuse. C'est cette découverte qui permet l'enchaînement des choix salvateurs..."

    Ce passage est à mettre en relation avec les articles parus ici sur les films "There will be blood" et "Deux jours à tuer" : la différence entre un itinéraire réellement philosophique, c'est à dire au fond réellement "religieux" (en un sens qui ne saurait être celui des "religions" traditionnelles), salvateur (mais au sens du salut explicité par Spinoza, un salut intellectuel et donc existentiel, se situant dans l'indéfinité de la durée de l'existence humaine en chair et en os, non dans un "au delà " imaginaire), et entre la dramatisation artistique de l'anéantissement inéluctable qui est au bout de la vie ordinaire.

    Daniel Plainview, dans "There will be blood", constate lui aussi la finitude de son existence : mais ce jugement ne débouche que sur le désespoir qui entraîne un meurtre qui est aussi un suicide, car il ne résulte pas d'un effort de compréhension philosophique, mais de la fuite en avant et de l'obéisance aux pulsions les plus basses.

    Antoine, le publicitaire de "Deux jours à tuer", trouve dans la certitude de sa mort prochaine et inéluctable la force du désespoir, l'énergie de s'éloigner de sa femme et de ses enfants qu'il aime follement, pour aller retrouver un père qu'il n'a jamais compris et dont il se méfie, pour mourir. Mais cette mort ne "produit" rien pour les générations futures, elle n'a que l'éclat (de diamant noir) d'un feu qui s'éteint, d'une chandelle qu'on souffle, et donc d'une lumière qui ne brillera plus pour personne.

    Alors que la lumière intellectuelle de Spinoza brille éternellement pour ceux qui se fient à sa direction...

    Le caractère inhabituellement tragique des premières pages du Traité de la réforme de l'entendement (inhabituellement s'entend : concernant les ouvrages de philosophie) a été maintes fois souligné. Mais il n'y a rien de surprenant dans cet état de choses, bien au contraire : la philosophie ne saurait se limiter à une recherche uniquement théorique, elle prend naissance à l'occasion des expériences d'étonnement (Platon) et de déception (Descartes, Spinoza) éprouvés par certains individus d'une manière exceptionellement forte, lors de leur existence quotidienne.


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