• Comme je l'avais annoncé pour m'en féliciter, le site des "Classiques" a entrepris semble t'il de mettre à disposition gratuite des internautes l'oeuvre complète de Léon Brunschvicg :

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/brunschvicg_leon.html

    Après "Héritage de mots héritage d'idées", qui avait été commenté ici, c'est au tour d'un autre ouvrage fascinant et bouleversant datant de la fin de la vie de Brunschvicg : "Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne", d'être rendu accessible.

    Bouleversant parce qu'il a été terminé en 1942, année où Brunschvicg était dans la clandestinité totale, soutenu heureusement par des amis comme Maurice Blondel, mais séparé pour toujours des ses enfants qui étaient en Angleterre. Ses enfants qu'il ne reverra pas, puisqu'il est mort le 18 Janvier 1944, sans voir la libération de la France et la chute du nazisme, évènements qu'il avait cependant pressentis, ou plutôt prévus avec la certitude totale qui est celle de la Raison, qui peut douter de tout sauf d'elle même et de sa supériorité intrinsèque sur l'obscurantisme irrationnel des idolâtries "magiques" du "sang et du sol" comme de celles des "religions" des "dieux à nom propre".

    On lira avec une attention toute particulière la préface qui retrace tout l'itinéraire de pensée de celui qui fut  l'un des maitres de la philosophie d'avant-guerre , pour tomber dans un complet oubli après 1945 :

    http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/descartes_et_pascal/descartes_et_pascal_preface.html

    L'oubli total et volontaire de celui qui fut l'un des "mandarins" des années 30, après la libération, y est bien expliqué. Cet oubli , qui est d'ailleurs plutôt un étouffement, dure encore à ce jour, même si le travail du site des "classiques" permet de reprendre espoir.

    Mais il faut ajouter que si la rupture avec l'idéalisme critique d'avant-guerre peut s'expliquer par la déception devant son impuissance à prévoir et à combattre la Bête nazie "montant de l'Abîme", cette accusation manque son objet.

    En effet ce n'est pas à cause de l'idéalisme  prétendûment abstrait et "alimentaire" (critique faite notamment par Nizan dans les "chiens de garde", où il voit Brunschvicg comme "s'alimentant" de toute adversité  pour en nourrir sa pensée) mais bien par impuissance de l'humanité ordinaire à se hausser au niveau de cette pensée et de son exigence, que la totalitarisme a pu s'exercer sans véritable résistance jusqu'en 1944.

    Et aussi après cette date d'ailleurs, mais là nous parlons du totalitarisme stalinien, dont Sartre s'est rendu complice jusqu'en 1956 (alors que Céline l'antisémite l'avait dénoncé dès 1936), puis du totalitarisme maoïste qui a bénéficié en France de l'admiration des "grandes consciences" droit de l'hommistes que nous connaissons bien, et qui se sont racheté depuis une virginité démocratique.

    Cete intéressante préface au livre de Brunschvicg s'étend aussi sur la nature nouvelle et spéciale de "Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne" : Brunschvicg, ébranlé par les évènements de 1940 à 1942, y aurait pour la première fois fait place au "doute" à propos de son "système rationaliste fondé sur la science".

    Mais cela me semble inexact, en ce que la pensée de Brunschvicg s'est toujours, et depuis les débuts, "nourri" des pensées adverses et "opposées" (ou "différentes") en les accueillant et les discutant. Et l'on peut ici, bien sûr, arguer de son admiration pour Pascal ou Bergson, deux penseurs pourtant très éloignés de lui philosophiquement parlant.

    Il est d'ailleurs à souligner que Bergson est une autre sommité d'avant-guerre qui n'a pas connu après 1945 le mùême destin d'oubli : c'est sansdoute que le bergsonisme fait place au mysticisme, qui est et sera toujours à la mode... mais je partage au demeurant l'admiration de Brunschvicg pour ce géant de la pensée qu'est Bergson.

    La thèse du livre est donc que la modernité (initiée par Descartes) dérive du scepticisme de Montaigne, qui se trouve donc ainsi accorder une importance cruciale...

    mais , tout en étant d'accord bien sûr avec ce verdict, il ne faudrait pas en rester là, et je voudrais ici simplement citer une réflexion de Brunschvicg tirée d'un autre texte  ("L'humanisme de l'Occident", introduction au premier tome des "Ecrits philosophiques") à propos de Montaigne et Descartes:

    " Mais depuis Descartes on ne peut plus dire que la vérité d'Occident tienne tout entière dans la critique historique et sociologique des imaginations primitives (qui est la  première perspective de la sagesse occidentale, de laquelle nous sommes redevables à Montaigne).

    sortir de la sujétion de ses précepteurs, s'abstenir de lire des livres ou de fréquenter des gens de lettres, rouler ça et là dans le monde, spectateur plutôt qu'acteur en toutes les comédies qui s'y jouent, ce ne seront encore que les conditions d'une ascétique formelle.

    A quoi bon avoir conquis la liberté de l'esprit si l'on n'a pas de quoi mettre à profit sa conquête ? Montaigne est un érudit, ou, comme dira Pascal, un ignorant; dans le réveil de la mathématique, il ne cherche qu'un intérêt de curiosité, qu'une occasion de rajeunir les arguties et les paradoxes des sophistes. L'homme intérieur demeure pour lui l'individu, réduit à l'alternative de ses goûts et de ses humeurs, penché, avec une volupté que l'âge fait de plus en plus mélancolique, sur la «petite histoire de son âme».

    Or, quand Descartes raconte à son tour «l'histoire de son esprit», une tout autre perspective apparaît: la destinée spirituelle de l'humanité s'engage, par la découverte d'une méthode d'intelligence. Et grâce à l'établissement d'un type authentique de vérité, la métaphysique se développera sur le prolongement de la mathématique, mais d'une mathématique renouvelée, purifiée, spiritualisée par le génie de l'analyse".

    On pourrait lire dans ces lignes, sans se tromper de beaucoup, une conception quasi-prophétique de Descartes, et aussi trouver l'explication du dédain affiché par nombre d'intelelctuels, anglo-saxons mais aussi français, pour Descartes : c'est que notre époque n'aime les prophètes que religieux, environnés d'éclairs, de crainte et de tremblement, et de phénomènes surnaturels. Et surtout elle les aime de loin : pour la vie quotidienne, on préfère la "petite histoire de l'âme" , mais ici les mots de Brunschvicg peuvent sembler trop sévères pour Montaigne, que sa culture des nobles sages de l'antiquité met à l'abri des divagations "nunuches" des  contemporains narcissiques obsédés de leur "belle âme" (que ne l'introduisent ils en bourse !!? cela règlerait sans dout leurs problèmes de "pouvoir d'achat" Mort de rire).

     La "mission prophétique" de Descartes existe bel et bien et débute historiquement dans la nuit "de la Saint Martin" du 10 au 11 novembre 1618 avec les trois rêves de Descartes, qu'il interprète lui même dès le réveil (et même pendant la durée du songe pour le dernier) et qui lui semblent inspirés par l'Esprit de Vérité, autre nom de Dieu des philosophes.

    Celui qui est aussi, et simplement, "la Vérité", d'après le "Court Traité" de Spinoza.

     


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  • Ce n'est pas par "négligence", ou "irresponsabilité", que la "civilisation" occidentale actuelle (qui n'a rien à voir avec les principes fondateurs de l'Occident, ceux de Descartes et Spinoza) court semble t'il vers un "mur" pour sy fracasser.

    C'est parce que, profondément, elle "veut" en finir.

    Cette conclusion est aussi celle de Christian Godin qui, dans "La fin de l'humanité", annonce la disparition de l'humain dans trois ou quatre siècles, par "perte de l'envie de continuer" (et il appelle cette désespérance sociale, qui s'accompagne d'un consumérisme sans limite et d'une vie dans le très court terme  : "peste blanche").

    Mais le problème est juste repoussé d'un cran : pourquoi veut elle, cette humanité moderne, en finir ?

    Ici nous pouvons nous accorder avec Badiou, et reconnaitre que le "matérialisme démocratique" et ses idéaux de "jouir sans entrave dans la diversité et le multiculturalisme institués" n'offre pas de "sens réel" à l'existence...ou encore, dans les termes de Badiou, qui sont sur ce point préférables, la désorientation de l'existence ne conduit qu'à la volonté de mort. Le grand Baudrillard disait lui, au début des années 80 si je ne m'abuse : "il y a désormais un problème mondial de la fatigue".

    C'est assez simple à comprendre : une fois que vous avez essayé toutes les destinations de vacances, toutes les positions sexuelles avec des femmes de toutes origines (ou des hommes si vous êtes une femme, avec les adaptations que le lecteur de ce blog, forcément intelligent et respectueux du "politically correct", ne manquera pas de faire pour les gays, lesbiennes, bi, tri, etc... j'espère que je n'oublie personneMort de rire), une fois que vous avez testé tous les types d'alcool ou de "shit" (oups pardon..."teushi" ), eh bien.... vous êtes dans la dépression et vous n'avez qu'une seule idée en tête : en finir. Et pourtant votre plan d'épargne retraite est si prometteur pour "quand vous n'aurez plus à travailler" !

    mais là encore le problème n'en est que repoussé un peu plus loin : pourquoi la civilisation d'Occident a t'elle quitté sa "vocation originelle", celle mise en évidence par exemple par Husserl, qui est de se vouer au travail infini d'introduire une intelligibilité de plus en plus parfaite dans la réalité, pour s'enliser dans le "naturalisme" et le nihilisme contemporains ?

    La raison est à mon avis celle ci : la tâche que s'est donnée à la fin du Moyen Age l'humanité européenne est très difficile, et décourageante, et désespérante, ...ou, en d'autres termes : cette humanité, en la personne de ses grands représentants qu'étaient Descartes, Newton, Galilée, Leibniz, Spinoza, etc...a "placé la barre trop haut" !

    et les générations qui ont suivi n'ont pas eu la volonté, ni la possibilité, de continuer !

    C'est sans doute la vérité profonde du fameux livre de Paul Hazard : "La crise de la conscience européenne" qui porte sur les années 1680-1715, soit les années suivant immédiatement la mort de Spinoza, et allant jusqu'à l'année de la mort de Louis XIV, le dernier "grand roi" de la France, mais surtout de Nicolas Malebranche, le dernier grand cartésien et grand métaphysicien français.

    Vous pouvez d'ailleurs lire ce livre "online" , avec un autre de Paul Hazard sur "La pensée européenne", sur le site des "classiques" :

    http://classiques.uqac.ca/classiques/hazard_paul/hazard_paul.html

    Dans cette optique, la pensée des Lumières au 18 ème siècle, qui a conduit à la révolution française (et à ses échecs ) apparait comme une dégradation par rapport au "sommet" atteint par les grands fondateurs du 17 ème, Descartes en particulier, dont tout découle...

    et c'est d'ailleurs ce que pensait aussi Hegel des "Lumières", qu'il assimilait à l'abstraction vide et uniquement formelle... j'ajoute que l'on peut avoir ce genre d'avis sans être pour autant un affreux réactionnnaire...si ! si ! je vous le jure !

    Dans un ancien blog je m'interrogeais sur la "perte" de la tradition de la "Mathesis universalis" (du 17 ème siècle) , justement lors de cette période du début du 18 ème siècle, qui a conduit au développement autonome (par rapport à la philosophie, laissée complètement en arrière, par la faute d'ailleurs des philosophes) de la science puis de la technique , et enfin au positivisme scientiste du 19 ème siècle...

    il semble que c'est dans cette "crise de la pensée" que doit être cherché la véritable nature de cet abandon.

    quoiqu'il en soit cette dégradation concerne spécialement la France, comme le confirme d'ailleurs le fait que ce soit dans ce pays que les "philosophes des Lumières" aient eu leur activité maximale, et que ce soit là que la Révolution a éclaté...

    mais un autre indice existe, de nature plus "quantitative", de ce "mal français"...

    je veux parler du phénomène bien connu de la baisse de la natalité en France à partir de la seconde moitié du 18 ème siècle, soit plus d'un siècle en avance par rapport aux autres pays européens, voir par exemple :

    http://www.jstor.org/sici?sici=0032-4663(200001%2F02)55%3A1%3C81%3AMAFRPE%3E2.0.CO%3B2-6

     


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